CANTIQUE |
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![]() Gustave Moreau |
CANTIQUE DE SAINT JEAN Stéphane Mallarmé |
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Le soleil que sa halte Surnaturelle exalte Aussitôt redescend Incandescent Je sens comme aux vertèbres S'éployer des ténèbres Toutes dans un frisson À l'unisson Et ma tête surgie Solitaire vigie Dans les vols triomphaux De cette faux Comme rupture franche Plutôt refoule ou tranche Les anciens désaccords Avec le corps |
Qu'elle de jeûnes ivre S'opiniâtre à suivre En quelque bond hagard Son pur regard Là-haut où la froidure Éternelle n'endure Que vous le surpassiez Tous ô glaciers Mais selon un baptème Illuminée au même Principe qui m'élut Penche un salut. |
![]() Edward Burnes-Jone |
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Chapitre 1 - Jacques Joos Chapitre 2 - Hortense de Bayès La comtesse Hortense de Bayès passe tous les étés dans son magnifique château d’Horre. Héritière d’une famille de mécènes du monde de l’art, c’est elle qui a reconnu le talent de Jacques Joos et lui a fait donner carte blanche pour son projet de la nouvelle fresque. Chapitre 3 - Le grand salon rouge Plus encore que la cascade et le vieil if sous le feuillage empoisonné duquel elle vient parfois méditer, le grand salon rouge est l’endroit du château le plus cher à la Comtesse. Une atmosphère ésotérique est volontairement entretenue dans ce temple consacré à la mémoire d’Adélaïde. Seuls de rares privilégiés sont invités à pénétrer là. Cette pièce va devenir le principal théâtre de l’amitié d’Hortense et Jacques. Chapitre 4 - Vélasquez et Manessier Sans doute amoureuse de Jacques, la Comtesse vient de mettre une chambre du château à sa disposition permanente. On jase au village. La Comtesse, lasse de sa fortune et envieuse de la foi religieuse de Jacques, souhaiterait posséder un seul objet qui lui renverrait — enfin — l’image de l’absolu qu’elle ne parvient pas à atteindre en elle-même. En harmonie avec le vide auquel aspire la Comtesse, Jacques ressent la nécessité pour son art de tendre vers l’abstraction. Chapitre 6 - Les images d’Hortense La relation d’Hortense et Jacques devient plus intime. Ensemble, ils regardent des albums de photographies anciennes. Ah ! quel plaisir pour elle d’initier Jacques à cette connaissance ! Et quelle chance pour lui qui ne pouvait souhaiter un meilleur guide ! Assis tous les deux, très proches, ils voyagent dans les albums centenaires. Quand les photographies sont placées recto-verso, ils regardent d’abord celle de gauche, puis celle de droite, se penchant d’un côté puis de l’autre, ensemble, dans des va-et-vient presque synchrones, comme si à tour de rôle ils se cherchaient puis se fuyaient ; ils jouent. Quand les photos sont situées seulement sur les pages de droite, on déplace l’album vers le milieu ; pour regarder, chacun s’incline alors vers l’autre, de côté, et leurs épaules se touchent. D’un tableau, derrière eux, Adélaïde observe ce ballet fait de déplacements parallèles, d’accompagnements, de fugues et de retours. Face à un daguerréotype d’Adélaïde, Jacques est à nouveau fasciné par la ressemblance des deux femmes. Parmi les images pieuses anciennes que la Comtesse collectionne, voilà encore qu’un visage de la Vierge est l’exacte réplique du sien ! L’impression d’avoir lu récemment le texte imprimé au dos de cette image ajoute à la stupéfaction de Jacques. Il s’agit de la description de la Comtesse faite par le narrateur au début de ce roman, une description que le Jacques fictif ignore mais dont les termes auraient diffusé jusqu’à lui par une sorte d’interférence inexplicable. Les efforts de Jacques pour se rappeler où il aurait lu la description de la Vierge restent donc sans résultat, un mécanisme autoritaire bloque son souvenir. Et il en arrive à se persuader qu’il a ainsi rêvé d’Hortense, tout simplement. À moins que la Madone qu’il devra bientôt peindre, celle dont le visage introuvable hante parfois ses nuits, ne soit déjà venue en ces termes et sous ces traits se présenter elle-même à lui ? Hortense et la Madone : une confusion que la ressemblance découverte aujourd’hui alimente à nouveau. Mais voilà une coïncidence qui n’est pas fortuite : quelqu’un l’a combinée pour Jacques et on la lui désigne. Chapitre 7 - Jacques & Jacques Jacques Joos existe réellement, et il est de mon devoir d’auteur de lui demander l’autorisation de nouer entre mes héros la relation amoureuse que les lecteurs attendront. Respectueux de principes rigides et d’une image à laquelle il tient, il refuse. Mais je ne l’entends pas ainsi… Ce n’est pas sans machiavélisme que je provoquais et manipulais ainsi mon ami pour que ses relations avec la Comtesse atteignissent au degré d’intimité que je souhaitais entre eux. En lui faisant part régulièrement des affabulations écrites où je traduisais son histoire, je lui avais déjà imposé peu à peu ma fascination de la femme qu’il côtoyait et dont il me parlait. Réinventée dans mon esprit, elle y agitait des fantasmes que je tentais à mon tour d’éveiller chez le modèle de mon héros. Déjà mon livre n’était plus un récit ni de la fiction pure. Mais en offrant désormais par avance à Jacques la lecture de mon imaginaire, j’essaierais d’investir encore plus son subconscient, de vaincre ses réticences, d’y installer mon personnage, d’orienter leurs désirs ; et d’infiltrer alors leur unique comportement de mes pernicieuses volontés. Lors d’un voyage organisé par Hortense pour introduire Jacques dans le circuit artistique américain, ils se sont rendus ensemble à Houston dans une « chapelle » qui abrite quatorze toiles immenses et monochromes réalisées dans les années 1970 par le peintre juif Mark Rothko peu avant qu’il ne se suicide. Pour l’un et l’autre, c’est une extase. Laurent Vidal, personnage retors et fantasque, s’intéresse de bien près à mon écriture de ce livre. Alors que je croyais commander seul au vrai Jacques en lui faisant lire à l’avance la fiction que j’écris, je me rends compte que Laurent tente aussi de m’influencer afin que mon roman — puis la relation véritable de Jacques et Hortense — prenne une tournure érotique. Vexé de cette ingérence, et pour affirmer mon indépendance, je décide que les amours de mes héros resteront chastes. — Nous la baiserons ! affirma [Laurent] en tentant de me posséder une dernière fois. Chapitre 10 - Notre-Dame d’Horre L’inauguration de la fresque a lieu lors d’une cérémonie qui marque aussi les adieux d’Hortense et Jacques. Retenu au chevet de Laurent Vidal qui est malade, je n’y assiste pas. Dans quel dessein un auteur conduit-il son héroïne aux bords d’une félicité aussi surnaturelle ? Après avoir pernicieusement offert Jacques à la convoitise d’Hortense, j’avais voulu qu’une religiosité excessive le retînt ensuite de succomber à la séduction dont j’avais ourdi le plan. Ce rempart préservait de façon autoritaire — et assez lâche, il est vrai — mon amour pour cette femme que je concevais idéale. Mais ma jalousie s’était trouvée prise à son propre piège ; car en commandant à la vertu de mes deux héros, je les avais menés jusqu’aux confins de l’amour, bien au-delà des seuls paradis que des liens charnels leur eussent permis d’atteindre. Après l’inauguration de la fresque, la Comtesse offre une soirée grandiose dans le parc du château. La légèreté de sa tenue et de son comportement paraît être une provocation pour Jacques, tout comme la révélation aujourd’hui seulement de l’existence de sa fille Maddalena. Celle-ci est à nouveau la réplique d’Hortense et d’Adélaïde, une irréalité qui renforce chez Jacques la sensation d’errer dans un récit d’imagination. La soirée s’achève par un requiem surréaliste chanté au bord de la grande cascade arrêtée. Chapitre 12 - Hérodiade et Salomé Voici sa dernière soirée à Horre ; Jacques, qui se laisse envahir par la nostalgie à laquelle il se nourrira désormais, sait qu’il a vécu ici des moments d’une rare densité. Mais la conscience de son comportement ambigu, et aussi d’une certaine culpabilité envers Hortense, le saisit. Après la condamnation de Jacques par un tribunal cauchemardesque, Hortense l’empoisonne ; il meurt dans ses bras. C’est dans la chambre de Laurent, à l’hôpital, que j’ai écrit mes trois derniers chapitres, anticipant de quelques heures seulement sur ce qui se passait à Horre. Convaincu que mon écriture avait perdu tout pouvoir prophétique, je la croyais donc innocente. Mais Laurent me convainc du contraire, et je n’ai d’autre issue que de me précipiter là-bas pour préserver le vrai Jacques du destin tragique que ma fiction vient de lui promettre. Je sauve mon ami, mais sans parvenir, hélas ! à voir la Comtesse à laquelle je porte moi-même, tel Pygmalion, un amour qui n’est plus secret depuis longtemps pour le lecteur. Je ne voyais donc pas Hortense, mais sa présence enveloppait jusqu’à mon cœur dont le rythme s’accélérait. L’instant s’attardait, se dissipait dans une dimension qui n’était plus le temps, hésitait aux bifurcations d’une cartographie où le monde matériel, sans cesse divisé en espaces semblables à lui-même, s’exténuait en un foisonnement de ramifications infinitésimales avant de s’évanouir, comme dilué, dans une sève de laquelle naissaient alors, continûment, des turbulences intellectuelles. Là, à la frontière indistincte entre le sensible et le mental, le vertige me gagnait d’être et simultanément ne pas être. Loin d’avoir recouvré ma sérénité, je crois entendre l’appel de mon héroïne à laquelle j’ai si brutalement arraché Jacques. Une cruelle certitude me conduit dans le parc du château où je découvre le corps de la Comtesse flottant dans un étang parmi les nénuphars et sous le regard de la statue d'Adélaïde. Suite à la mort de la comtesse de Bayès des phénomènes étranges se produisent au village. Après y avoir vu d’abord des manifestations diaboliques, la rumeur populaire préfère commuter sur la sainteté de la défunte. Voilà même que des miracles surviennent ! Le soleil avait disparu derrière les collines qui, à l’ouest, encaissent la vallée d’Horre. La nuit d’équinoxe tombait, glacée en altitude malgré l’arrivée du printemps. Respirant les senteurs neuves échappées des jardins en bordure de la place de l’Église, je marchais là en attendant que Laurent eût terminé son numéro de bluff et de séduction. De l’autre côté du parvis, la vitre embuée du café m’isolait de ce théâtre chaleureux et drôle mais qui devenait pour moi celui d’un autre monde. Les acteurs, dont les ombres offraient le spectacle de la seule vie au village, continuaient à débattre avec le nouveau prophète. Les exclamations ou chahuts qui modulaient leurs discussions m’arrivaient en sourdine comme une musique de veille, mais quand la porte du café venait à s’ouvrir, le brouhaha accroché aux phrases de Laurent se déversait à l’extérieur en même temps que des nuages de fumée et de tiédeur, et ce tumulte me distrayait alors — un bref instant — du songe de plus en plus lointain dans lequel je glissais. C'est dans un sursaut de lucidité que je me rends compte qu'Adélaïde, Hortense et Maddalena constituent une seule et même femme, éternelle en quelque sorte par des renaissances succcessives, et qu'il me faut absolument échapper à son (leur) emprise criminelle. Hélas ! c'est trop tard, je n'arrive plus à m'extraire du roman dans lequel j'ai voulu descendre pour y rencontrer ma si chère héroïne ! Mon livre devenu autonome se rebelle contre son auteur, il l'absorbe et se referme sur lui comme la pierre d'un tombeau. Adieu ! |
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