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Gabrielle me trompe avec...
« exercices de style » : variations oulipiennes



100 sonnets composés sous les contraintes suivantes :

1) Structure en alexandrins : abba abba ccd ede. Respect des règles de la prosodie classique sauf, pour certains sonnets, de l’alternance des rimes masculines et féminines. Autorisation des rimes toutes de genre unique et de rimes spéciales.

2) Synopsis
- Premier quatrain : le narrateur découvre la tromperie de son amoureuse Gabrielle.
- Deuxième quatrain : détails sur la tromperie.
- Premier tercet : indifférence ou (dés)approbation des sept chats de Gabrielle.
- Deuxième tercet : colère, nostalgie ou regrets du narrateur.

3) Le titre de chaque sonnet commence par « Gabrielle me trompe avec... »

4) Le premier quatrain commence par « Gabrielle d’amour ».

5) Présence obligatoire des mots
- amant(e), ou aimé(e), ou maîtresse, etc.
- duo, ou trio, ou quatuor, ou sextuor, ou septuor, etc.  ou tout mot traduisant un groupement musical ou choral.

6) Le dernier tercet contient le mot « hélas ».

7) Érotisme discret.


Références :

« Exercices de style » (Raymond Queneau, éd. Gallimard) : voir ici
« Je suis le ténébreux » (Camille Abaclar) : voir ici
« Joconde jusqu’à cent... » (Hervé Le Tellier, éd. Castor Astral) : voir ici
Variations Goldberg (J.S. Bach) : voir ici
Variations Diabelli (Beethoven) : voir ici
« Promenade avec Gabrielle », Jean Giraudoux, illustrations de JE Laboureur, NRF, 1924
« Poèmes à Gabrielle », Alain, éditions Institut Alain. Voir ici.

 





Gabrielle me trompe avec ...

variation   1    : ...une amie
variation   2    : ...un sex-toy 
variation   3    : ...un ténor
variation   4    : ...la Terre entière
variation   5    : ...tout un régiment
variation   6    : ...un cardinal-évêque
variation   7    : ...Voltaire 
variation   8    : ...son chat Zadig 
variation   9    : ...trois jeunes éphèbes
variation 10    : ...un professeur
variation 11    : ...une Jeune Parque
variation 12    
: ...Morphée
variation 13    :
...la rue
variation 14    : ...un peintre moderniste
variation 15    : ...saint Jean-Baptiste
variation 16    : ...le facteur
variation 17    : ...moi-même
variation 18    : ...elle-même
variation 19    : ...Priape  
variation 20    : ...un jeune garçon
variation 21    : ...Pierrot
variation 22    : ...le Soleil
variation 23    : ...un mandarin
variation 24    : ...sept nains
variation 25    : ...un bûcheron
variation 26    : ...tout l’alphabet
variation 27    : ...Dieu
variation 28    : ...le Diable
variation 29    : ...son mari
variation 30    : ...le Coronavirus
variation 31    : ...le boulanger
variation 32    : ...un acrobate
variation 33    : ...un gendarme
variation 34    : ...Mozart (1)
variation 35    : ...Mozart (2)
variation 36    : ...Enki Bilal
variation 37    : ...un prince héritier
variation 38    : ...le sous-préfet
variation 39    : ...un demi-dieu grec
variation 40    : ...Zorro
variation 41    : ...un vampire
variation 42    : ...Faust
variation 43    : ...un monolithe marin
variation 44    : ...un smartphone
variation 45    : ...un riche inconnnu (X)
variation 46    : ...Scarlett O’Hara
variation 47    : ...son médecin
variation 48    : ...Victor Hugo (1)
variation 49    : ...Victor Hugo (2)
variation 50    : ...le père Noël

variation 51    : ...Raymond Queneau
variation 52    : ...un ogre
variation 53    : ...une kyrielle de multi-genrés
variation 54    : ...un diplomate levantin
variation 55    : ...La Négresse blonde
variation 56    : ...Jules César (1)
variation 57    : ...Jules César (2)
variation 58    : ...Homère (1)   (l’Iliade)
variation 59    : ...Homère (2)   (l’Odyssée)
variation 60    : ...un amiral
variation 61    : ...un nain de jardin
variation 62    : ...le sable
variation 63    : ...le boucher
variation 64    : ...un explorateur
variation 65    : ...quatre marins pêcheurs
variation 66    : ...un confesseur
variation 67    : ...un moniteur de ski
variation 68    : ...Denis Papin
variation 69    : ...quarante académiciens
variation 70    : ...quatre-vingts chasseurs
variation 71    : ...un phare et son gardien
variation 72    : ...la Joconde
variation 73    : ...un barman anglais
variation 74    : ...trois Amazones
variation 75    : ...un golfeur
variation 76    : ...un organiste
variation 77    : ...Napoléon
variation 78    : ...François Caradec
variation 79    : ...le fromager
variation 80    : ...le Cid
variation 81    : ...Notre-Dame de Callot
variation 82    : ...Paul Neirvale
variation 83    : ...un libraire (érotique)
variation 84    : ...Tintin
variation 85    : ...un pilote de ligne
variation 86    : ...un maître d'échecs
variation 87    : ...le plombier
variation 88    : ...la statue de la Liberté
variation 89    : ...Europe
variation 90    : ...un chef d'orchestre
variation 91    : ...mon chirurgien
variation 92    : ...un psychanalyste
variation 93   : ...
variation 94   : ...
variation 95    : ...
variation 96    : ...
variation 97    : ...un maquereau breton
variation 98    : ...El Greco
variation 99    : ...plus personne
variation 100   : ...le vent




variation 1

Gabrielle me trompe avec une amie


Gabrielle d’amour, mon âme ténébreuse
En ces vers tout chagrins te dit son désarroi :
Oui, je dois m’effacer, rejeté par la loi
De l’univers saphique où tu fuis, vaporeuse.

Lourd de brume et de spleen, le vin que tu bois creuse
Le temps pour enfouir ton souvenir de moi,
Cependant qu’asservie aux plis de ton émoi,
Dans ta chambre, ivre aussi, ronronne une amoureuse.

Sept regards sont figés dans leurs prunelles d’or ;
Tout doucement dans l’ombre on entend l’octuor
Où tes chats indolents font chœur à ton amante.

Hélas ! je ne pourrai désormais, chère sœur,
Me griser sans mesure à la coupe charmante
Des secrets et des miels ruisselant de ton cœur.



variation 2

Gabrielle me trompe avec un sex-toy
(toutes rimes masculines et singulières)



Gabrielle d’amour, tu reviens d’un sex-shop
Avec dans ton cabas le tout dernier sex-toy
Qui provoque, dis-tu, des émois de cow-boy
À cru sur un mustang. Alors là je dis : stop !

Tu prétends que ton val en devient love-top,
Que six volts font le job d’un cavalier destroy
Et qu’en ce rodéo, plus bourrin que play-boy
Un bronco virtuel t’envoie en l’air, et hop !

Six de tes chats, blasés, feulent en sextuor
Mais, lamartinien, le dernier monsignor
S’étonne qu’un objet sans âme dans ton lit

S’anime. Hélas, c’est moi qui suis inanimé !      (*)
D’où mon rêve souvent, que la nuit embellit,
D’un retour électrique en ton ciel bien-aimé.    (**)

 

(*)  « Objets inanimés, avez-vous donc une âme
         Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

                                                Alphonse de Lamartine

(**)  « Je gère le voltage et toi le bout-rimé..»   (Gabrielle)


variation 3

Gabrielle me trompe avec un ténor



Gabrielle d’amour, ici pas de chantage,
Adieu sole mio ! Car voilà qu’un ténor,
Caruso magnifique en star du Mogador,  
Arrive dans ton lit sûr de son avantage.

Le bel canto succède à notre chuchotage.
Tu écoutes Mozart, Rossini... mais encor
Francis Lopez parfois. Ta chambre est le décor
Où ce nouvel amant t’offre son héritage.

Polyglottes tes chats répondent au galant ;
À Cadix en français les voici miaulant ;
L’italien demain ce sera sera pour Séville.

Hélas ! je n’eus jamais ton goût pour l’opéra
Sauf pour nos duos quand, soulevant ta mantille,
Je mêlais mon murmure au tien, ma señora.



variation 4

Gabrielle me trompe avec la Terre entière
(toutes rimes féminines et singulières)



Gabrielle d’amour, de baisers constellée,
Voilà que tu fais tiens, dans l’histoire du Monde,
Les milliards d’amants dont sa mémoire abonde.
Tu les reconnais tous, moi je fuis leur mêlée.

Un globe Mercator roule dans ta vallée ;
La Terre entière là vient et se dévergonde ;
Sur orbite en ton ciel où chacun fait la ronde
On aperçoit Don Juan lui-même ― et Galilée !

Fuyant de tes soleils la vive galaxie,
Dans un miroir astral au tain d’ataraxie
Tes chats — Grand Septuor — épousent 
                                           [ la Grande Ourse.  (*)

Hélas ! Pour revenir aux bras desquels je tombe
Me ferais-tu quitter, au terme de ta course,
Des archanges déchus les limbes sans colombe ?

 

(*) La Grande Ourse :



variation 5

Gabrielle me trompe avec tout un régiment


Gabrielle d’amour, deviens-tu nymphomane ?
Adieu ! Cent fois déjà tu m’as fait partir, or
Ton capital s’accroît d’un nouveau centuor   (*)
Dans un coup fumant d’où l’odeur de soufre émane.

Tout flamme un voltigeur te croyant pyromane 
Pour appeler de l’aide aura sonné du cor
Et battu ton tambour bien qu’il brûlât encor ;
Cent pompiers sont venus sauver le mélomane.

Réveillés par la clique et tout son brouhaha
Tes chats ont miaulé d’abord pensant « Ha ! Ha ! » 
Puis ils sont retournés à leur chose éternelle.

Hélas que n’ai-je su, moi ton fidèle amant,
Qu’un jour tu deviendrais au lit la colonelle
Et la maîtresse en feu de tout ce régiment !

 

(*) Le mot centuor n’existant pas,  le voici inventé avec une signification évidente.



variation 6

Gabrielle me trompe avec un cardinal-évêque
(genre des rimes inversé pour les tercets)



Gabrielle d’amour, Ninon de florilège,             (*) 
Offerte aux libertés d’un prélat cathédral
Tu penses te munir d’un passeport moral
Pour accéder un jour au céleste collège.

Ta conscience ainsi de lourds péchés s’allège
Quand baisant du primat le goupillon lustral
En retour il t’absout de son bâton spiral
Puis de tout l’attirail enfin du sacrilège.

Tes chats font leur ronflette et l’évêque roucoule ;
Prise dans ces lenteurs ta prière s’écoule,
Matines, sexte, none..., et matines encor... ;   (*) 
           
Alors que moi chassé par ton rat de conclaves
Je me rêve en pontife — hélas ! — de Nabuccor 
Pour te faire gémir dans le chœur des esclaves.

 

 (*)   Ninon, nonne neuneue, à none ânonne nue,         (**)
        Dans l’enclos de sa chambre au nonuor tenue.
  

(**)   Ni non no ne ne ne a no na no ne nue

 




variation 7

Gabrielle me trompe avec Voltaire



Gabrielle d’amour, voici venir Voltaire,
Insigne duelliste à la plume invaincu ;
Avant que d’être encore amèrement cocu,      
De ta chambre je fuis ce nouveau locataire.

Sans cesse à haute voix, du penseur libertaire
Tu lis contes, pamphlets, poèmes et vécu... 
Le feu d’un tel esprit pâlit celui du cu
Et fait de ton alcôve un phare humanitaire.

Élèves éclairés par la noble leçon,
En septuor tes chats d’un pudique unisson
Approuvent ton allant vers l’amant philosophe.

Hélas ! je ne puis donc — ce n’est faute à Rousseau,
C’est la faute à Voltaire — achever cette strophe   
Sur ton parterre en fleurs, le nez dans ton ruisseau.


 



variation 8

Gabrielle me trompe avec son chat Zadig
( toutes rimes masculines et singulières)



Gabrielle d’amour, ton débord théâtral
Outrepasse l’esprit d’un épicurien.
Bien que castré, ton chat m’a vaincu. Jamais rien
Ne m’a tant avili que fuir un tel rival.

Sur ton ventre est dressé, superbe, l’animal.
Dans l’ombre son regard d’or luciférien     
Étincelle alors qu’en un spasme aérien    
Tu le sacres d’un pleur céleste et baptismal.

Tout en intronisant Zadig imperator,
Miaulent près de toi, groupés en sextuor,
Les synchrones vassaux de l’amant souverain.     

Hélas ! je ne puis donc — ce n’est faute à Rousseau
(Revoici la chanson) — terminer ce refrain
Sur ton parterre encor, le nez dans ton ruisseau.




variation 9

Gabrielle me trompe avec trois jeunes éphèbes



Gabrielle d’amour, serais-tu Messaline ?
Trois amants dans ton lit, chacun moins de vingt ans !
Je fuis de tes calculs les nombres résultants
Et les excès auxquels on te découvre encline.

Ces hardis Apollons, regorgeant d’endorphine,
Architectes experts groupés en arcs-boutants,
Ébauchent les schémas parfois inquiétants
De tétraèdres fous que ta science affine.  
 
Le trio de minets s’ajoute en dixtuor
Aux sept chats assoupis dans le constant décor
Où leur ronron poursuit sa fugue habituelle.

Hélas moi je ne puis, serait-ce en ricochant,
Tripler selon ton gré ma suite rituelle
Ni me prêter aux jeux pervers de ton penchant.






variation 10

Gabrielle me trompe avec un professeur



Gabrielle d’amour, j’espère et je soupire
Et puis voilà je pars. Dans ton cœur trop étroit
À ma place réside un nouvel ayant droit
Dont le propos savant t’enlève à mon empire.

Quelle injure pour moi ce mépris qu’il transpire
Et que pour te séduire il verse à mon endroit !
Je vous prête en revanche un baiser maladroit
Dans un lien que j’invente et que le fiel m’inspire.

En cercle sur ton lit, feulant un septuor,
Tes Raminagrobis récusent le mentor
Avant de fuir, hautains, sa parole endormante

Dans leur songe idéal. Hélas ! moi je ne puis
Désormais que rêver de l’école charmante
Où hier tu m’enseignais la leçon de tes nuits.


variation 11

Gabrielle me trompe avec une Jeune Parque
(toutes rimes féminines)



Gabrielle d’amour, il faut lire Pétrarque
Et surtout Valéry pour comprendre les armes
Impuissantes que sont les vertueuses larmes
De la naïve enfant que ta malice embarque.

Un paradoxe blesse au cœur ta Jeune Parque ;
Pleurant son corps intact, mais sans autres alarmes,
Elle suit la serpente ayant forcé ses charmes
Et dont l’âpre morsure à tout jamais la marque.

Tes chats, peu soucieux des étreintes saphiques,
Entendent néanmoins vos duos séraphiques
Qu’ils rejoignent parfois dans un tutti servile.

Et moi je songe, hélas ! appréhendant ta perte,
À ton dilemme quand je fus un tel reptile
S’infiltrant le premier dans ton âme entr’ouverte.



variation 12

Gabrielle me trompe avec Morphée
(toutes rimes féminines et singulières)



Gabrielle d’amour, ta fatigue me lasse
Dès lors que ton repos dans les bras de Morphée
Offre à ce dieu vainqueur tes songes pour trophée
Et me livre au regret des nuits dont on me chasse.

Ta chambre est devenue un céleste Parnasse
Où cet amant te tient comme dans un nymphée.
Eurydice dans l’ombre attendit son Orphée,
Et moi dans l’ombre en vain j’attends que l’ombre passe.

Ton septuor de chats, d’un murmure uniforme,
Approuve qu’en ton lit désormais l’on s’endorme
Puis retourne à son rêve enfin quand tout sommeille.

Hélas ! Quand nous dormions jadis au bois, ma belle,
Le matin je baisais ta bouche de vermeille,
Moi ton unique prince et toi mon immortelle ! 


variation 13

Gabrielle me trompe avec la rue
(toutes rimes féminines et singulières sauf la dernière)



Gabrielle d’amour, de baisers généreuse,
Ton abnégation brocarde ma tutelle.
Adieu ! Quand le printemps fait brûler ta dentelle,
La ville entière suit ta course aventureuse.

La rue indigne t’offre, à toi sa dévoreuse,
De nocturnes loubards en mal de jarretelle.
Dans une impasse glauque ils tombent la bretelle
Comme pour une obscène et fébrile pierreuse.

Tes chats, ignorant tout des chaleurs de gouttière,
Entendent vaguement, de leur douce litière,
Le chœur furioso des matous à la fête.

Quant à moi, plus cocu que le mari d’Hélène,
Pour son trône on me croit de nature parfaite
Et c’est donc chez les Grecs que l’on me mène, 
hélas !   (*)



(*) Conformément à la contrainte imposée de rimes féminines, mon dernier
vers fut d’abord « Et c’est donc chez les Grecs, hélas ! que l’on me mène. »
Mais faire rimer « mari d’Hélène » avec « mène, hélas » m’a semblé ensuite d’un intérêt historique pouvant justifier le sacrifice de la norme prosodique.

 


variation 14

Gabrielle me trompe avec un peintre moderniste

Picasso

 

Gabrielle d’amour, un courant schismatique
Te mène au chevalet d’un peintre novateur ;
Il te prouve au pinceau ses talents de bretteur
Puis devient ton amant sans effort romantique.

Revu dans un format psy-néo-synthétique,
Ton corps sur les tableaux de ce déchiqueteur
Échappera sans doute à tout contradicteur
Car objet le voici d’un concept esthétique.


Tes chats en septuor, à ta pose invités,
Ronronnent de concert sans paraître affectés
Par le dessin nouveau de ton anatomie.

De ta chambre l’artiste a fait son atelier
Tandis que moi viré de ton académie
J’écris ces vers, hélas, assis dans l'escalier !




Picasso

 



variation 15

Gabrielle me trompe avec saint Jean-Baptiste



Gabrielle d’amour, te voilà Salomé
S’offrant incandescente à la chair du Baptiste.
Moi je fuis cet essor dont l’ardeur symboliste
Est celle qu’ont décrite et Strauss et Mallarmé.

Ton Iokanaan, ce nouveau bien-aimé,
Ne se rebelle plus. Ton lit devient la piste
D’une danse brutale, ob
scène et fataliste
Où, pour sauver son chef, le prophète allumé

Se damne... Et les yeux de tes chats, quatorze étoiles
En double septuor, transpercent les sept voiles
De l’amante qui danse et perd toute raison.

Hélas, que n’ai-je pu t’abandonner ma tête,
Ô toxique poupée, ô funeste poison !
Va donc et laisse-la se nourrir d’Épictète !



variation 16

Gabrielle me trompe avec le facteur
(toutes rimes masculines)




Gabrielle d’amour, adieu, c’est du brutal !
Quand l’heure du courrier ravive les émois,
Ton amant — le facteur — sonne toujours deux fois :
Pour toi le vertigo, pour moi le coup frontal.

Indigne cavalier du mythique cheval
Ailé, le préposé ne songe qu’aux envois
En l’air, puis au septième ciel souventefois
Il t’oblitère d’un grossier tampon postal.

Fouetté par ce balourd, le pair de Chrysaor
D’un vif hennissement surclasse en octuor 
Les sept grippeminauds qui feulent en chorus.

Hélas ! Moi, fou rêvant d’épectase au sous-sol,
J’eusse aimé t’apporter, tel le facteur Rhésus,
Mon sang dans un ultime et formidable envol.  

 


variation 17

Gabrielle me trompe avec moi-même




Gabrielle d’amour, un seul de ton carnet
D’amants m’aura toujours rendu l’âme joyeuse ;
Tu lui fais aujourd’hui ta mine gracieuse
Et c’est donc tout content que j’écris ce sonnet.

Hilare est son prénom, son nom c’est Poilaunet.         (*)
Une blague de lui ne peut être ennuyeuse
Et ses mille baisers sur ta peau radieuse
Te font rire parfois jusqu’à potron-minet.

Du troupier — poil au pied ! — dont la marche progresse,
Tes chats en septuor méprisent l’allégresse
Avant de replonger dans leur rêve de rien.

Pas d’hélas pour mon clone au cœur d’un enthymème !
Oui, sache que son nom fait anagramme au mien     (**)
Et qu’ainsi ce rival n’est autre que... moi-même.


(*)    Hilare par son baptême et comique prédestiné car né Poilaunet. Voir ici.
(**)   Alain Le Pourhiet




variation 18
Gabrielle me trompe avec elle-même



Gabrielle d’amour, il convient que j’évite
Enfin d’être trompé par toi-même avec toi.
Adieu donc ! Je te quitte et maudis le pourquoi
Du lascif abandon qui force ton invite.

Vexé dans tel exil, tout esprit sombre vite.
Rien ne peut affaiblir ici mon désarroi
Quand je sais que selon l’effet de quelque loi
Autour de ton éden seul ton Éros gravite.

Honteusement tes chats, d’un mol confiteor
Peinent à travestir en pudique octuor
De l’amante autophile une leste sonate

Pour mandoline seule. Hélas ! moi je ne puis
Désormais que rêver de la main délicate
Complice tant de fois de mes jeux à ton huis.

 



variation 19

Gabrielle me trompe avec Priape
(toutes rimes féminines et singulières)



Gabrielle d’amour, on sait bien que Priape
Dont tu aimes flatter l’extravagant volume
N’est pas cet amant-là que ton sexe présume.
Je dois fuir néanmoins le mal dont il me frappe.

Sur de tels attributs tout fantasme dérape.
C’est un désir caché que ton délire exhume,
Mais hors de l’utopie où ta chair se consume
L’accord ne peut se faire… et le mythe t’échappe.

Les castrats de ta cour relevant fiers la nuque,
Prouvant en septuor leur dignité d’eunuque,
N’ont cure de ce dieu ni de sa vaine masse.

Hélas ! Quand le grotesque à ta raison s’impose
Et que ton sentiment bientôt de moi se passe,
Entends-tu les soupirs qu’à ton âme je pose ?


variation 20

Gabrielle me trompe avec un jeune garçon




Gabrielle d’amour, cet adieu me soulage,
Tes excès me font peur. Voilà qu’un inconnu,
Tout juste lycéen, fut hier le bienvenu         
Dans ta chambre au retour de quelque racolage.

Cet élève affamé, pris dans ton cœur volage,
Ignorait tout de tout ; de son air ingénu
Il n’a pu qu’accepter ton généreux menu
Découverte qui sied pour un dépucelage.

Tes matous alentour, au sexe indifférents,
Exprimant leur ennui de tes films récurrents,
Ronflaient en septuor quand tu faisais merveille

Hélas, sachant ton art savant sous l’édredon,
Que ne puis-je être aussi sur ta chair qui l’éveille
Cet amant vierge encor que guide Cupidon !          (*)





variation 21

Gabrielle me trompe avec Pierrot




Gabrielle d’amour, nocturne Colombine,
Te voici sur l’archet du fantasque maraud
Qui traîne en pyjama dans les vers de Giraud.    (*)
De ce macabre clown, adieu la concubine !

Un croissant pâle et vert sans cesse débobine
Les rondeaux sur lesquels divague ton Pierrot ;
Vaine est là ta caresse au glacial faraud
Qui s’enivre d’absinthe et de sang qu’il combine.

On connaît de Schönberg l’atonale fureur...         (*)
À celle-ci tes chats, hérissés de terreur,
Mêlent un septuor feulé dans la panique.

Et moi, la nuit, hélas, à Bergame perdu,
Pour fuir de ton amant le rire sardonique
Que ne suis-je Cassandre à la Lune pendu !



(*) Pierrot Lunaire  poème d’Albert Giraud traduit en allemand par Erich Hartleben puis partiellement mis en musique (atonale) par Arnold Schönberg. Lire ici et ..






variation 22

Gabrielle me trompe avec le Soleil



Gabrielle d’amour, tu hâtes mon désastre.
C’est qu’un céleste amant — dont tu m’as fait l’aveu
Du Mystère parfait — t’initie à son Feu
Quand moi je rime et rame ainsi qu’un poétastre.

Dans le monde éclairé qu’a pensé Zoroastre
L’enchantement des sens paraît n’être qu’un jeu
De lumière où ta chair — qui d’un rayon s’émeut —
Redevient virginale au seul éclat d’un astre.

L’iris d’or, dans les yeux de tes chats, reproduit
Un talisman solaire et nuptial. La nuit,
Quand le septuor veille, on croit entendre Ovide.

L’ordonnateur secret de tout cet appareil
T’enlève à ma tendresse et, dans un plan perfide,
Hélas te sacrifie au baiser du Soleil !




variation 23

Gabrielle me trompe avec un mandarin


Bartok, Le Mandarin merveilleux, pochette Sony


Gabrielle d’amour, contre moi tout conspire.
Aujourd’hui c’est Bartók qui me prive de toi ;
Son Chinois merveilleux, ton nouvel amant roi,
T’emporte en un ballet que la débauche inspire.

Il t’élève au dessus de l’air que je respire
Et me dicte ces vers chargés de désarroi ;
Oui, voilà que soumise aux règles de sa loi
Sur piste ou dans ton lit ce mandarin t’aspire.

Le regard enfermé dans leurs prunelles d’or,
De concert sur le fil d’un morne septuor,
Tes mistigris fuyant ta valse sulfureuse

Retournent à leur songe. Hélas ! moi dont les mots
Ne se balancent plus sur ta bouche amoureuse,
Je les crie — entends-les ! — dans tes ciels infernaux..



variation 24

Gabrielle me trompe avec sept nains
( + une variante avec toutes rimes féminines et plurielles)



Gabrielle d’amour, je poursuis mes chroniques...
Moi, ton amant viré par sept vils petits mousses
(Dont aucun n’est plus grand que quatre pieds
                                                              [ six pouces)
Je te laisse aux Heigh-Ho de ces nabots toniques.

Ils rentrent du boulot sur des airs synchroniques ;
Mais alto grave, toi, vite tu les trémousses
Quand savante tu fais, bisoutant leurs frimousses,
Éclater le chorus en cris disharmoniques.

La Rhapsodie alors se déchaîne en cyclones             (*)
Desquels ton chat royal, flanqué de ses six clones,
S’abrite en un sommeil dont il a clos les portes.

Hélas ! exclu du ciel où grondent ces orages
Je me trouve envieux de tes bruyants cloportes,
Rêvant même d’étendre à huit leurs compérages.      (**)

 

     (*) Johannes Brahms, Rhapsodie pour Alto, Chœur d’hommes et Orchestre
          (opus 53). Cliquer ici. Le choeur d’hommes intervient au temps 9’40’’

     (**) Variante avec rimes masculines irrégulières :
  
             […]   Hélas ! mon chuchotage aussi là s'est tu ; or
                     Je me trouve envieuxde tes bruyants cloportes

                     Rêvant même d’étendre à huit leur septuor




variation 25

Gabrielle me trompe avec un bûcheron



Gabrielle d’amour, te voici la poupée
D’un mâle colossal. Diplômé d’une fac
Où les phrases n’ont cours, il maîtrise le vrac
D’une syllabe unique à tes reins mélopée.

D’abord il te dit « Han ! » puis dans sa priapée
Viennent d’autres « Han ! Han ! » pastichant le tic-tac
De rythmes horlogers. Bientôt il fait le crac
Et conclut par « Timber ! » cette prosopopée.

Ton septuor de chats, loin du rappeur des bois
Et de son babil simple accentué d’abois,
Accompagne un zéphyr sifflant dans la ramure ;

Tandis que moi je reste un homoncule, hélas !
Jaloux de ton amant sur son lit de sciure,
Analphabète et sot mais bâti comme Atlas.      (*)

 

(*)  Variante du dernier tercet sans l’alternance du genre des rimes :

       Tandis que moi je reste hélas un homoncule,
       Jaloux de ton amant sur son lit de sciure
       Analphabète et sot mais bâti comme Hercule !

 


(Getty image)



variation 26

Gabrielle me trompe avec tout l’alphabet


Gabrielle d’amour, un as de l’alphabet,
Acrobate pédant, m’aura donc suc
cédé ;
Et moi soudain brutal, jaloux de ma meu-ef,       (*)
Je pourfends l’effronté car dans mes mots
j’ai hache.  

Dès ce premier quatrain ton saltimbanque
y gît ;
Mais ma sourde fureur dont il n’a fait cas, elle,

Infiltre encor la piste oulipienne et mène
Vingt-trois nouveaux amants, ici, pour les chopper.

Ton septet de félins, comme moi cocu, erre
Feule en alexandrins, miaule en majesté,
S’inspire de l’éther par la Muse efflu...

Enfin, se conjuguant dans un double avé-X,
Deux quidams que la chatte (ou que le tigre) excède
Récusent ton programme et concluent ce sonnet... 

(AB)
(CD)
(EF)
(GH)

(I J)
(KL)
(MN)
(OP)

(QR)
(ST)
(UV)

(WX)
(YZ)

( ** )



 (*)    En verlan moderne on dit bien meuf pour désigner une femme. Alors pourquoi ne pas dire aussi meu-ef lorssqu’on a besoin de ce mot ? Soyons ultra-modernes.

(**)    ...Gabrielle, ce vers sans rime est mon tombeau,
          Hélas je n’y vois pas tes yeux ni mon flambeau !
          Une corde m’attend, fixée au rocambeau.
          Et je n’espère plus, au pied de l’escabeau,
          Que ton épiphanie et son éclat de beau
          Épargnent à mon ciel l’envol noir d’un corbeau.
          Alors trouve d’un cœur ici quelque lambeau
          Et sache t’en repaître, ô carnassier barbeau !       (***)

(***) Intégralité des huit rimes en –beau (noms communs)






variation 27

Gabrielle me trompe avec Dieu



Gabrielle d’amour, je te trouve en prière ;
Une extase mystique aura fermé tes yeux
Et tu ne me vois plus. Je te laisse à tes Cieux,
Moi je prends vers l’enfer ma fuite routinière.

Ta face s’abandonne à l’eau de ta paupière
Mais se tord sous l’excès du feu religieux
Qui consume ton corps. Dans tes sanglots pieux 
Je crois ouïr « Seigneur ! » et puis aussi « Lumière ! »

Un trio de tes chats ronfle en grégorien
Et l’autre quatuor en oratorien    
Autour de ton autel, ô ma sainte maitresse !

Ta chambre est devenue hélas un reposoir
Où Dieu pour aviver son ardente prêtresse
Rayonne dans l’éclat sacré d’un ostensoir.




variation 28

Gabrielle me trompe avec le Diable
(sonnet monorime)



Gabrielle d’amour, Satan tel un vampire
T’enferme en son ivresse et t’ouvre à son empire.
D’un extrême bordel la règle qu’il inspire
Des stupres récursifs ordonnance le pire

Et puis le pire encor d’une infernale spire
Où sans aucun recul tout diverge et empire.
La turpitude est l’air que cet amant respire,
En te livrant au vice absolu qu’il transpire.

Or moi, tel un croisé dès son retour d’Épire,
J’entends tes chats feuler quand le Démon soupire
Avec toi dans la chambre où le péché t’aspire.

Puisque c ’est contre Dieu que ton duo conspire
Il te faut expier, hélas ! Va donc, expire
Et rejoins en enfer la Macbeth de Shakespeare. (*)

 

(*) Intégralité des quatorze (!) rimes en -pire selon le dictionnaire de Pierre  Desfeuilles (Éditions Garnier en 1912 puis Éditions Bordas en 1992).


variation 29

Gabrielle me trompe avec son mari
(toutes rimes masculines)



Gabrielle d’amour, un sursaut conjugal
Ramène ton époux brusquement dans ton lit.
De ta meute d’amants c’est fini la chienlit,
L’ordre à nouveau te sied d’un ménage légal.

Du mari retrouvé je ne suis pas l’égal ;
Ton cœur le ressuscite et puis le réélit.
Sa légitimité dénonce le délit
De ces jeux clandestins qui firent mon régal.

Tes chats, approbateurs d’un équilibre sauf,
Entendent vos duos rejoués en play-off
Et chassent du passé toute ombre de quidam.

Hélas, sur ton album je suis le nouvel ex
Croupissant désormais sous le poids de son dam
Et concluant ces vers d’un dura lex sed lex !





variation 30

Gabrielle me trompe avec le Coronavirus
(sonnet monorime)

 

Gabrielle d’amour, à l’écart de tes us
Je reste confiné ; tel est le processus
Lorsque ta chambre s’ouvre à ce royal virus
Pourtant privé des feux latins de Romulus.

Voilà que te dévore un amant sans phallus
Plus friand de poumons que de monts de Vénus.
Ton seul masque est l’image horrible d’un rictus
Que ne peut effacer l’étude des corpus.

Consternés tes sept chats miaulent en chorus ;
Ton râle vient parfois briser leur consensus
Quand tragique il se mêle à ce dernier opus.

Hélas ! de l’ombre enfin surgit Nostradamus
Pointant de tes baisers le fatal terminus
Et te vouant, ma chère, à l’éternel humus.

 

Note : Soyons certains que le sinistre mage s’est trompé et que
Gabrielle nous reviendra bientôt, pimpante comme nous l’aimons.



variation 31

Gabrielle me trompe avec le boulanger

 

Gabrielle d’amour, l’ardeur adultérine
Qui te mène jusqu’au fournil du boulanger
Me prive de ma mie et me fait fustiger
L’émoi de ce croûton sur son lit de farine.

Quand sous un sein poudreux ton cœur vif tambourine
Et qu’une flamme vient dans un souffle léger
Dorer ce pain de rêve au parfum d’oranger, 
Du rouge teinte aussi ta blancheur ivoirine.

En boutique tes chats louangent les accus
De leur Pomponette et... font sonner des écus
Qui ne lui coûtent guère, ainsi dit la comptine.

Le chœur des sept mitrons miaule avec entrain
Mais ne pouvant hélas te beurrer la tartine
Te laisse aux pétrisseurs et moi dans le pétrin.

 

« La boulangère a des écus qui ne lui coûtent guère... »





variation 32

Gabrielle me trompe avec un acrobate



Gabrielle d’amour, ras-le-bol des augures
De cirque dans ton lit ! Je te rends mon billet
Et je pars — me trouvant d’ailleurs trop rondouillet
Pour expérimenter d’élastiques figures.

Du trapèze mongol au plongeon des Ligures,         
Chaque jour ton amant s’inspire d’un feuillet
Du Khamkül ; aujourd’hui le double barillet               (*)
Projette et fait planer très haut vos envergures.
 
Olympiques tes chats, rêvassant d’un décor
De stade et de podium et de médailles d’or,
S’imaginent à sept en brouette maltaise.                  (**)

Ton acrobate est sûr, son geste sans bémols
Parfait. Faudrait-il donc désormais que je taise
Hélas ! nos merveilleux mais trop simples envols ?

 

(*) Le plongeon des Ligures, le double barillet... Ceux qui penseraient que ces figures ont été (inventées et) baptisées par moi afin de satisfaire aux présentes rimes se trompent car elles sont bien présentes au catalogue indien Khamkül que d’aucuns considèrent comme la référence absolue en matière de gymnastique amoureuse. Le vertigineux plongeon et le redoutable barillet ont également été décrits dans une autre compilation plus tardive (vers la fin du 16ème  siècle) par le fameux chibrouze Khemafoutra III.

(**) On sait que la véritable
brouette maltaise, celle des puristes, se construit à six éléments seulement. Pour s’instruire de son histoire, de sa technique et de ses dangers, lire ce qu’ont écrit Dagobert de La Butte aux Piles au quatorzième siècle,  puis la marquise de Sévigné en 1672, et enfin le mathématicien Gaspard Monge en 1827.

 






variation 33

Gabrielle me trompe avec un gendarme



Gabrielle d’amour, c’est au Mississippi
Aujourd’hui que j’emprunte une rime exotique
Pour camper ton nouvel arrivant domestique ;
Oui, je pars et te laisse à l’Écho du Képi !

Toi Sirène nouant, dès que j’ai déguerpi,
Les longs fils argentins du fleuve romantique,
Tu brodes dans le cœur d’un gendarme extatique
La grenade explosive et la pomme d’api.

Tes chats, d’un plein accord en septuor fantasque,
Bravant l’autorité du pandore sans casque,
Miaulent à chacun de ses coups de sifflet.

Et bientôt quand il fait sauter ta contredanse,
Voilà dans mon exil, hélas ! un camouflet
Qui ne peut qu’éveiller de toi ma dépendance..




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variation 34

Gabrielle me trompe avec Mozart (1)
(toutes rimes masculines et singulières)

ALP phot.


Gabrielle d’amour, très exquise Érato,
Après t’être accordée aux gammes de Mozart,
Celui-ci, ton amant, s’installe dans ma part 
De ton cœur. Comprends-moi, je te quitte presto.

Pourtant de sa musique un simple allegretto 
M’exalte et je ne puis m’en tenir à l’écart,
Ni douter un instant du brio de son art
Quand il te divertit d’un divertimento.

À la liste d’opus il manque un septuor
Pour cordes ? D’un trio flanqué d’un quatuor    (*)
Tes chats le contrefont dans leur camerata !

Hélas ! depuis l’exil je songe à ton boudoir
D’où me parvient l’écho d’une Gran Partita       (**)
Romantique flottant dans l’air calme du soir.


(*) Le divertimento n°11 K. 251, est un septuor pour cordes et vents.

(**) W.A. Mozart, Gran Partita KV 361, sérénade pour 13 instruments à vent et contrebasse en sept mouvements. Grâce à son inspiration et l’équilibre de son écriture musicale, la diversité de ses formes et de ses genres, ses dimensions et son effectif imposants, chaque partie étant destinée à un instrumentiste soliste, cette sérénade est considérée comme l’un des chefs-d’œuvre du répertoire de musique de chambre des vents. (Wikipedia)



variation 35

Gabrielle me trompe avec Mozart (2)



Gabrielle d’amour, l’opéra m’exténue.
Toi, Fiordiligi, tu séduis Tamino
Puis, Reine de la Nuit, baises Cherubino…
Tu les mélanges tous sans nulle retenue.

Quand ta rage de scène ensuite s’atténue,
À la messe on te voit, pieuse soprano ;
Puis ton amant te joue au forte-piano
Une aria d’enfant cristalline et menue.

Tes chats ronflent toujours sur cette addition
Qui fait de trois plus quatre une solution
Au septuor de chambre oublié par le maître.

Mais hélas ton Mozart arrive ad hominem
Et, suite aux vains opus qui n’ont pu me démettre,
De toi me déracine, enfin, d’un requiem.



variation 36

Gabrielle me trompe avec Enki Bilal (*)
  J. Rosuero, 1944
                                                                                       

Gabrielle d’amour, un ordre capital
Émanant de ton lit m’y fait perdre ma place.
Un serpent là se tord et se love et t’enlace
Et t’emporte en un ciel de gouache métal.
 
Je quitte avec frayeur cet univers mental
Où le monstre cosmique à la gueule de glace,
Retenu quelque instant dans un dessin salace,
S’accouple à toi mon ange aux ailes de cristal.

Tes chats tels des robots superbes qu’on allume,
Flanqués d’un septuor de bulles sans volume,
Lancent sur un papier des éclairs couleur d’or.

Hélas ! de Landerneau bientôt voici la Lune   (**)
Blafarde qui se fond dans le sombre décor
Où ton amant, Bilal, mûrit mon infortune.

 

(*) Exposition Enki Bilal, FHEL, Landerneau, été 2020.

(**)  La  célèbre Lune de Landerneau : cliquer ici




variation 37

Gabrielle me trompe avec un prince héritier



Gabrielle d’amour, tu rêves de couronne
Depuis que ton amant, beau prince curial,
D’un index impudique et dictatorial
M’a chassé de la couche où seul il t’éperonne.

Au premier coup d’épée il t’a faite baronne
Et puis duchesse quand d’un cri seigneurial
Tu rendis les honneurs au gland armorial
Duquel coule l’esprit dont sa race fleuronne.

Tes chats en septuor autour de ton vainqueur
Miaulent déjà tels les enfants qui du chœur
Chantent le Te Deum sacré des basiliques.

Mais moi j’entends surtout, dans ce même caquet,
L’ex-reine de mes ciels et nuits hyperboliques
Virer son mousquetaire, hélas, et son mousquet !

 




variation 38

Gabrielle me trompe avec le sous-préfet


Gabrielle d’amour, c’est la fête au canton,
Vive le sous-préfet ! Le tambour de la clique,
Habile rabatteur connaissant la musique,
Lui désigne une girl qui cherche un mirliton. 

Cette actrice c’est toi jouant un feuilleton,
Toujours le même, lourd de ton besoin cyclique
D’enjôler chaque année un hâbleur politique
— Ici grosse casquette et tonton mironton.

Tes chats savent le film et ronflent sur ta couche
Où, vite exténué, grande ouverte sa bouche,
Le bonhomme s’ajoute aux sept en octuor.

Mais l’an prochain  — hélas ? — plus d’amant qui pionce
Ni d’absurdes soupirs au côté d’un Nestor !
Car, jeune et beau, voici qu’un demi-dieu s’annonce.





variation 39

Gabrielle me trompe avec un demi-dieu grec

coll. ALP


                                       

Gabrielle d’amour, un demi-dieu s’annonce,
Ombrant de ton sérail les orgueilleux clairons
Et de ton palmarès les plus nobles fleurons…
Comprends que je m’efface et qu’à toi je renonce.

Or deux mots sibyllins que le Divin prononce
Neutralisent bientôt tes élans fanfarons ;
Car détourné de toi par de jolis barons
Il se prête aux amants que ton sexe dénonce.

L’archangélique Grec, échappé de ton lit,
Laisse en chœur tes sept chats fustiger le délit
Qui les aura privés sur l’Olympe d’un somme ;

C’est que tes vains efforts, malgré tout leur pathos,
Font apparaître hélas que l’aimable jeune homme  
S’appelle Sarpédon, cherche son Milétos.           (*)

 

(*) Les trois frères Sarpédon, Minos et Rhadamante, demi-dieux grecs, fils de Zeus, s’éprirent d’un même garçon, Milétos, un fils d’Apollon. C’est Sarpédon qui remporta la triangulaire. Il sera tué par Patrocle, l’ami d’Achille, durant le siège de Troie. (**)

(**) Il est à noter que, selon certains auteurs, Milétos est non seulement le petit-fils de Zeus (et de Léto) par son père Apollon, mais que par sa mère Acacallis il en est aussi l’arrière-petit-fils, puisque le père d’icelle, Minos, le roi de Crète, est aussi un fils de Zeus (et d’Europe). Et pour tout simplifier voilà que Minos devient amoureux de Milétos, son petit-fils et demi-petit-neveu. Finalement le gamin offrira ses faveurs non pas à son grand-père maternel mais au frère de celui-ci, Sarpédon, qui évincera l’autre tonton Rhadamante amoureux également. Des médisants vont même  jusqu’à dire, que Milétos aurait été  le fruit des amours incestueuses de Minos et de sa propre fille Acacallis. Minos convoitant son propre fils et petit-fils, c’est du compact ! Une belle famille.






variation 40

Gabrielle me trompe avec Zorro
(sonnet à deux rimes masculines et singulières)

 

Gabrielle d’amour, tu rêvais de far-west,
Dhidalgo, dHollywood... et puis voilà Zorro.
Tel l’autre Garcia, jai lancé mon haro
Sur l’intrépide amant qui triomphe à ton test,

Puis jai gagné mon havre entre Quimper et Brest,
Près du mont de Brasparts ; mais le caballero          (*)
De carême-prenant, dun vol de sombrero
Vient parfois me narguer sur le celte Everest.       

Bernardo — qui jamais ne sera Figaro
Dun signe à tes sept chats propose un numéro
De mutisme choral mariant zen et zest.                    (**)

Hélas, reste là-bas, danse le boléro !
Dans la gavotte moi je lâche tout mon lest
,          
Remettant ma mémoire et mon cœur à zéro.



(*) Brasparts : c’est pour placer l’Everest deux vers après. Le mont Saint-Michel de Brasparts, dans la chaîne des monts d’Arrée, est le point  culminant de Bretagne (en tenant compte de la chapelle construite à son sommet).

(**) zest : entrain, vivacité. (cf. Queneau, Loin Rueil, 1944, p. 172 , source CNRTL)




variation 41

Gabrielle me trompe avec un vampire

 

Gabrielle d’amour, Nosferatu t’appâte ;
Fort de l’attraction magique dont il a
Fait preuve dans les films, j’ai nulle chance là
De regagner ton cœur, donc je me carapate. 
   
(*)

Les ongles et les crocs pointus du psychopathe
Te percent comme ceux du comte Dracula
— Autre vampire qui de rouge macula
Tant de pâleurs dans ses donjons de carton-pâte.

Pris de fièvre tes chats, stryges tonitruants,       (**)
Mêlent leurs septuors aux cris de chats-huants
Et délaissent le lait pour ton hémoglobine.

Hélas ! quand vient ton tour d’inverser les frayeurs,
D’un bel amant sanguin tu pompes la bibine
En me priant d’aller me faire boire ailleurs !

 

(*)  Dans ce contexte de vampires, le mot Carpates eût été idéal ici. Mais il est interdit car la rime (avec appâte, psychopathe et carton-pâte) doit être singulière. Va donc pour carapate !

(**) Stryges tonitruants. Voilà qui fera crier certains puristes s’il en venait à me lire. Le mot strige étant féminin, il s’accordait mal à des chats, et de toute façon il m’était interdit de l’utiliser ici car la rime de mon vers 9 doit être masculine. Le mot stryge, avec un i grec, est déclaré désuet ce qui, à mon sens, ne l’exclut pas d’une écriture à tendance poétique ; de plus il fut en son temps, contrairement à strige, du genre masculin (cf. dictionnaires anciens) et je le prends donc, c’est le mot qu’il me faut. De toute façon, avec la nouvelle théorie du genre qui vient d’être inventée en haut lieu ministériel, tous ces mélanges et confusions sont désormais autorisés et même encouragés.




variation 42

Gabrielle me trompe avec Faust

 

Gabrielle d’amour, d’un docteur émérite
Tu désires soudain jouir du gai savoir :
Rends-lui donc sa jeunesse, il t’offre le miroir
Devant lequel déjà riait sa Marguerite.

La science de l’un, c’est l’autre qui l’hérite
En commerce équitable et sans diable à pourvoir
Même si ton amant, pour son ultime soir,
Fait d’une illusion sa vaine favorite.

Inquiets de l’Enfer tes chats feulent en rang ;
Ils conjurent à sept le proxénète errant
Croyant t’en sauver grâce à leur pieux cantique.

Pourtant si Faust hélas trône à ton palmarès,
C’est parce qu’à mon gré je fais ta politique
Et qu’en fait c’est moi seul ton Méphistophélès !

 


ALP phot.




variation 43

Gabrielle me trompe avec un monolithe marin
d’après La  Beauté de Charles Baudelaire,
rimes conservées (abba cddc efe fgg)

 

Gabrielle d’amour, pour un Titan de pierre
Tu tombes aujourd’hui tes futiles atours.
Son épouse, la mer, s’éloigne aux alentours,
Te laissant embrasser la géante rapière.

Dans l’azur est dressé l’ithyphalle incompris
Dont le volume fait tes délices malignes.
Les siècles et climats ne déplacent ses lignes ;
Jamais il ne soupire ; il ne sait quand tu ris.

Sur la dune tes chats, grisés par l’altitude
Qui rabaisse l’orgueil des plus fiers monuments,
Font la louange en chœur de cette infinitude.

Hélas, pour adoucir tes mythiques tourments
Et pouvoir transcender ma limite charnelle,
Que n’ai-je de ton dieu l’érection éternelle !      (*) 


(*) Les lecteurs pointilleux sur la prosodie pourront préférer  :
    « Que n’ai-je de ton dieu la vigueur éternelle ! »



Le Priape de Meneham (Kerlouan, Finistère)




variation 44

Gabrielle me trompe avec un smartphone
(sonnet à deux rimes singulières)

 

Gabrielle d’amour, c’est un maudit hublot
Qui retient désormais ton humeur volatile :
L’écran d’un beau smartphone up-to-date rutile
Dans l’ombre où l’on me pose ainsi qu’un vieux ballot.

Le faune numérique attise ton brûlot ;
Tu trottes jour et nuit sur son clavier tactile
Où le clic opportun d’une touche érectile
Fait sonner cet amant parfois comme un grelot.

Tes chats, réceptifs à tout ronron vibratile,
Y vont d’un septuor ; et leur souffle ventile
Les pixels surchauffés de l’ardent bibelot.     

Hélas, pour retrouver le creux de ton nautile     (*)
Où nous entendre encor, sache ouïr le sanglot
Qu’entre ces mots je glisse à ton cœur versatile !

 

(*) 


                              Edward Weston




variation 45

Gabrielle me trompe avec un riche inconnu
(« sonnet en X »)
(rimes alternées en x et xe, avec paires ordonnées de voyelles identiques)

 

Gabrielle d’amour, une eau d’opoponax
(Rare parfum qu’exhale un falacon de saxe)            (*)
T’enivre. Un inconnu (le prochain de tes ex)
Te l’offre et se rajoute aux gloires de ton sexe.

Rouge et or cet amant paraît tel un phénix ;
D’un grand X tu l’inscris dans ton bottin prolixe ;
Son musc a des odeurs de santal et de phlox
Dont l’exotisme imprègne un stupre hétérodoxe.

En septuor, voisins de Castor et Pollux,                 (**)
Tes chats ronflent déjà, grisés par tout ce luxe,
Avant que les Gémeaux ne clignent des onyx.

[ Au vers deux j’ai triché, hélas, d’une anaptyxe !           
Je m’en excuse et laisse ici mon joker @x             (***)
Clore cet exercice avec sa compagne @xe. ]



(*)  J'ai volontairement écrit falacon au lieu de flacon. Cela s'appelle une anaptyxe, un mot dont j’aurai besoin au douzième vers. L’anaptyxe est une méthode d’orthophonie qui consiste en l’introduction d’un phonème vocalique (ici la voyelle a) entre deux consonnes (ici f et l) pour faciliter la diction. Autre exemple : prononcer peneu pour désigner un pneu. On observera que le mot anaptyxe se prête lui-même à l’anaptyxe : écrire anapityxe au lieu de anaptyxe est déjà une anaptyxe. (****)

(**) La Grande Ourse n’est distante des Gémeaux que d’une trentaine d’années-lumière.

(***)  Voilà une excuse opportune qui n’arrive pas par hasard. Anaptyxe étant le seul mot français se terminant par –yxe, il s’imposait à la fin du douzième vers en raison des contraintes de rime imposées. Au deuxième vers, le remplacement de flacon par falacon était donc peu innocent.
      J' aurais pu également rendre hommage à Stéphane Mallarmé en offrant là une compagne inventée et inconnue (ptyxe) à son ptyx inventé lui aussi mais désormais très connu.

(****) Il est peu commun de trouver cinq fois le mot anap(i)tyxe dans une même phrase.





variation 46

Gabrielle me trompe avec Scarlett O’Hara
« Autant en emporte le vent »
(rimes accolées avec alternance de genre)



Issippia X., une Américaine disciple de Jack Kerouac, est libraire à Lagrasse, petite ville occitane au sud de Carcassonne. Elle est née en Louisiane, près du fleuve Mississippi d’où elle tient son prénom singulier, mais a longtemps vécu dans l’état de Géorgie et c’est pourquoi on la surnomme Scarlett O’Hara. Je l’ai présentée à ma Gabrielle chérie, mal m’en a pris car les voilà maintenant amoureuses l’une de l’autre. Bah ! Cela passera.


Gabrielle d’amour, vois Scarlett O’Hara
Qui court jusque chez toi ; les vents du Sahara
Décoiffant tous les chefs de Toulouse à Lagrasse,
Ouvre-lui donc ta porte et clos bien ta terrasse.

Mais voilà que soudain, soufflant sur le devant,
Un tourbillon d’autan en emporte l’auvent.            (*)
Feignant alors l’effroi, l’amante chasseresse 
Trouve en tes bras ouverts quiétude… et tendresse

Finaude elle savait, forte de son surnom,
Qu’un toit s’envolerait au dessus d’elle, non ?
Déchaînant le chorus de tes sept chats qui feulent.

Ce vent me rendra fou, ses bourrasques m’esseulent.
Hélas ! je vois déjà mon canal du Midi
Captif des entrelacs du tors Mississippi.              (**)

 

(*)   L’autan est un vent parfois très violent, venant du Sahara et pouvant souffler sans arrêt pendant plusieurs jours ; il sévit dans le Sud-Ouest de la France, particulièrement le long du canal du Midi et dans la région de Castres où l’on dit qu’il descend de la Montagne Noire et qu’il peut rendre fou. On se souvient du vent espagnol équivalent qui fit perdre la raison à Gastibelza (Victor Hugo, Georges Brassens).

(**)      Loin des salons feutrés (genre club Rotary)
           Où les Sudistes se rendaient en tilbury,
           Moi fou je crois entendre à Castelnaudary
           Dans les troquets du port le blues et la country.

           Du saphique maelström où Téthys hippie a     (***)
           Libéré les feux de la belle Issippia,        
           Surgissent les typhons du Mississippi. Ah,
           Pitié pour mon cœur que la miss ici pilla !

(***)  Téthys : déesse marine archaïque (Titanide), sœur et épouse du Titan Océan. Elle est la mère nourricière de tous les fleuves (et donc du Mississippi, celui-ci fût-il inconnu des Grecs).





variation 47

Gabrielle me trompe avec son médecin
(sonnet à deux rimes singulières)

 

Gabrielle d’amour, ton humeur dépressive,
Tristesse de routine et rire fugitif,
Témoigne de ton mal ; c’est aussi le motif
De mon nouvel exil au fond de ta coursive.

Le docteur Enfoirus, en visite cursive,
Illico te suggère un soin copulatif ;
De ce pitre enfoiré — je pèse l’adjectif
Bientôt tu deviens donc l’amante permissive.

Tes sept chats en accord sur un air collectif,
Tels des moines au fil d’un long récitatif,
Expriment en dormant leur semonce passive.

Et moi, dans le repli d’un sonnet réactif
Je crois me venger par quelque rime offensive
Mais qui demeure, hélas ! un vain palliatif.







variation 48

Gabrielle me trompe avec Victor Hugo
( toutes rimes féminines et singulières)



Gabrielle d’amour, je suis un misérable
Et toi l’Esméralda qu’un poète a séduite.
Tu le lis jour et nuit m’obligeant à la fuite
Dès lors qu’il se révèle un amant mémorable.  

Victor Hugo, c’est lui cet auteur qui m’accable !
Entends dans Les Rayons (et les Ombres ensuite)
De son Olympio la nostalgie induite                    (*)
Par les sillons que l’heure efface, inexorable !

Tes sept chats faisant cercle autour de quelque livre
Humblement à l’esprit de Chanoine se livrent     (**)
En un pieux chorus de ronflette féale.

Et moi, gnome écrasé par le titan solaire,
C’est hélas en filant son œuvre cathédrale
Que de Quasimodo je me découvre frère !     



 
(*)      Victor Hugo, Les Rayons et les Ombres, Tristesse d’Olympio.
(**)    Chanoine fut le nom d’u
n chat de Victor Hugo.


 



variation 49 (ou 48 bis)

Gabrielle me trompe avec Victor Hugo (2)
(réponse de Victor Hugo amoureux)

(rimes masculines aaaa-bbbb-ccc-ddd)

 


Caspar Friedrich

 

Gabrielle d’amour au sourire si doux,
De votre amant de cœur vous me rendez jaloux,
Et c’est pour exciter son très juste courroux
Que je reste un moment de plus à vos genoux.

L’immuable impétrant, tel un trouvère accort,     
Vous rabâche les vers que lui dicte son sort
Quand moi, Victor Hugo, lyrique, sans effort,
Je vous propose, ô nymphe, un glorieux transport.

Peu m’importe vos chats en chœur dans leur transept ;
Et fi des sonnets dont j’ai nié le concept
Même si l’on m’en compte, à ce jour, six ou sept !     (*)

Or pour répondre en pair à mon rival, ho
Il m’en faut un de plus ! Sans vous braver, Scylla,    (**)
Dès demain celui-ci sera donc celui-.                   (***)

  
                                                              Victor Hugo

 

(*)   En fait parmi les 663 poèmes de Victor Hugo on ne trouve que cinq sonnets. Lamartine n’en a écrit aucun.

(**)  Avant d’être changée en monstre, Scylla fut une nymphe de grande beauté que Victor Hugo oppose ici au dictateur Sylla et assimile à notre délicieuse Gabriella.

(***)   Le mot hélas, imposé dans chaque dernier tercet de cette saga, est absent ici pour cause d’incompatibilité avec les Ultima Verba triomphants de Victor Hugo :

           « Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même
           Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
           S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
           Et s’il n'en reste qu’un, je serai celui-là ! »





variation 50

Gabrielle me trompe avec le père Noël
(sonnet à deux rimes singulières,  mffm - mffm - ffm - fmf)

 

Gabrielle d’amour, vois le papa Noïel,                  (*)
Pressé par son timing, bondir de sa nacelle !
Au-dessus de ta porte une étoile étincelle
Balisant du coursier le trajet pluriel.

Le bonhomme prodigue et circonstanciel
Déballe ses joujoux, t’éblouit, t’ensorcelle,
Puis dans ta crèche il place...
                            [ un Jésus. L’heure est celle
père Noël rime avec pair gabriel.                   (**)

Ravis par le cantique où tel ténor excelle,           (***)
Ou bercés par le chœur grégorien d’un celle,
Tes chats ont fui ta chambre et ronronnent au ciel.

Et quand, ivre à minuit, hélas moi je chancelle,
Toi dans un retour tendre et pénitentiel
Tu m’offres pour cadeau des baisers de pucelle !

 

(*) Noïel : ce nom (avec sa rime) existe sous d'autres cieux ; il m’importe, je l’importe.

(**) Au vu du succès (!) de tous ces sonnets, et suite aux dépravations sexuelles de mon héroïne Gabrielle avec ses multiples pairs, un mot spécial issu de cette saga ne méritait-il pas d’être inventé pour qualifier ensuite des turpitudes analogues ? Avec l’adjectif gabriel voilà donc qui est fait. Ne pas le confondre avec son contraire archangélique. Ne  pas le confondre non plus avec le prénom Gabriel.

(***) « Minuit chrétien » : l’aveugle et lumineux Andrea Bocelli d’abord, puis tant d’autres. ( https://www.youtube.com/watch?v=7qT2wAqqlZs )

 



variation 51

Gabrielle me trompe avec Raymond Queneau
(exercice de péristyle)



Gabrielle d’amour, irons-nous jusqu’à cent ?
Hier, quand de Queneau je m’exerçais au style,       (*)
Tu savais m’asservir, idylle sur idylle,
Aux variations d’un délire indécent.

Parfois ma plume encor, sur ton ordre pressant,
Rajoute quelque amant de plus au péristyle
Du temple qu’elle érige, à la suite d’Eschyle,
Pour toi ma Suppliante au cœur efflorescent.          (**)

En septuor tes chats, d’une pudeur hautaine,      
De tes jeux voyant poindre une autre cinquantaine,
Sont jaloux de Délo si calme chez Perec.               (***)

Seule Zazie hélas, insolente héritière,
Aurait pu destiner cette orgie à l’échec,
Te faisant Danaïde et ma muse gouttière !             (**)


 
(*) Raymond Queneau
,
[100] Exercices de Style,
Éditions Gallimard, 1947.
(**) Eschyle, Les Suppliantes
[Les Danaïdes]

(***)  Délo fut le nom d’un chat de Georges Perec.




variation 52

Gabrielle me trompe avec un ogre

Giovanni Lanfranco, 1624


Gabrielle d’amour, nous voici dans un monde
Où l’on voit un poucet romanesque et mignon
Se faire dévorer, de la pulpe au trognon,
Par un géant morfal que l’appétit dégonde.

Toi, ma gloutonne que l’appétit dévergonde,
Rassasiée aussi du jeune compagnon,
Tu l’abandonnes vite à son triste guignon
Pour t’inscrire au menu de l’autre goinfre immonde.

Tes chats, tels les enfants du conte de Perrault,
Se tiennent sous ton lit, sans chœur mais à carreau,
Quand l’ogre au dessus d’eux dévore leur maîtresse.

Hélas, moi remisé dans un fond de placard,
Empiffré des lapins que tu poses sans cesse,
Je consigne en ces vers mon destin de cornard.

 






variation 53

Gabrielle me trompe avec une kyrielle de multi-genrés




Gabrielle d’amour, je t’abandonne aux airs
Politiques du temps : la mode officielle
Rend la confusion de tous essentielle
Au wokisme grand-soir des esprits et des chairs.   

Tes succès sur ce point se sont révélés clairs
Car dans ton lit voici toute une kyrielle
D’amants multi-genrés à pente plurielle,
Hétéros les jours pairs, homos les jours impairs,

Ou l’inverse…Tes chats, castrés mais sans complexes  (*)
Face à l’incertitude inclusive des sexes,
Tels des bébés en chœur bruissent dans leurs dodos.

Et moi n’accordant foi qu’aux actes de naissance,
Anachronique donc chez tes gauchos bobos,
Je m’y fais accuser, hélas, de mal-pensance.




(*) « dégenrés » mais non dérangés.


variation 54

Gabrielle me trompe avec un diplomate levantin





Gabrielle d’amour, c’est pour un diplomate
Sybarite échappé des Mille et une Nuits,
Et pour le blanc lotus dont il orne ton huis,
Que tu me chasses tel un vulgaire primate.           

Ce madré Levantin ― il t’offrit l’aromate
Causant l’addiction que tu traînes depuis ―
Est ainsi l’amant qui, pour explorer ton puits
De science, y devient le plus vif automate.

Tes sept chats, remués dans leurs gènes persans,
Sacrent l’Oriental, s’en font les courtisans, 
Et approuvent en chœur l’exotique passade.

Hélas ! Moi vaincu par le loukoum byzantin,
Renvoyé plein Ouest en bretonne ambassade,
Je te rêve crêpière à Quimper-Corentin              (*)

 

       (*)


voir variation n°97)

 

Crêpe exquise

Ce serait fête
De voir Gabig
Sauter galette

Sur son bilig
Dans le bon beurre…

Rêvons, c’est l’heure !

.



variation 55

Gabrielle me trompe avec La Négresse blonde (*) (**)
(rime unique)


 

Gabrielle d’amour, ta pudeur moribonde
S’épuise chez Fourest ; ton vice là redonde
Des charmes nuit et or de sa Négresse blonde,
Sculpturale beauté que ton cœur vaste inonde.

La Vénus dans tes bras alimente ma fronde
Quand ivre d’ambre clair et d’ébène profonde
À la fois tu deviens fougueuse et pudibonde,
Amante allégorique et torride Joconde...

Septuor truculent bien que coupé (du monde),
Tes matous attentifs miaulent à la ronde
Dès qu’au au creux de ton lit la callipyge gronde.

Hélas le cul splendide où ton feu vagabonde
Fera-t-il du sonnet visant cette gironde
Le plus ardent de ceux que ma verve féconde ?

 

(*)    La Négresse blonde, Georges Fourest, 1909.
(**)   Avec la complicité de Nicolas Graner






variation 56

Gabrielle me trompe avec Jules César




Gabrielle d’amour, de ton vade-mecum
Ouvert aux vanités encor d’un nouveau jules,
Manipulant l’oubli sans honte ni scrupules
Tu m’effaces comme on efface un erratum.

Lui, farouche vainqueur, sur l’or de ton album
Inscrit avec orgueil « CÉSAR » en majuscules ;
Tandis que moi craignant les romains ergastules
Je me dois de quitter au plus tôt ce péplum.  

Franchi le Rubicon, te voilà fataliste ;
En chœur avec tes chats, d’un air triomphaliste
Tu te hasardes dans un Alea Jacta.

Hélas ! Cette aria, l’opéra, le théâtre,
Loin d’exalter le feu d’une casta Vesta,
Allument dans ton lit l’enfer de Cléopâtre !

 


variation 57

Gabrielle me trompe avec Jules César (2)
réponse de Jules César au sonnet précédent   (*)
contrainte du charabia : « Write ! Never mind the words. »   (**)




Gabriellamore, vester domesticum
Ad voluptas tuas Julius hercules,
Maxima libido catoli scrupules
Nunc farset attrapat errati factotum.

Ferus, Caïus victor, tutan auro dalbum
Hic inscripto « CÆSAR » : ave majuscules !
Vadan lergastuli Brutus ligronules,
Tu quoque mi fili conodante peplum.

Ergo Rubicona transfo septaliste,
Et lectrico chorus ad feles batiste :
Alea jacta est, vasi cartorata.

Heu, heu ! Cur joremal id opera latre ?
Clari dexaltavit ignis vestalita ?
Huc ascendor lectum dela Cleo patre !

Julius Cæsar, Imperator

 

(*) Rimes conservées ainsi qu’un mot d’origine  par vers (ou son approximation ou sa traduction latine). Ajouter la contrainte du charabia.

(**)  Les Temps Modernes, Charlie Chaplin, La chanson charabia : « Sing ! Never mind the words. » 


variation 58

Gabrielle me trompe avec Homère (1)
(l'Iliade)





Gabrielle d’amour, les guerriers chez Homère
Sont autant de héros qui honorent ton lit.
Ta lecture, la nuit, de l’Iliade, élit
Ces multiples amants dont la Légende est mère.

L’un, souvent, parmi ceux que l’aède énumère,
Qu’il soit Grec ou Troyen mais dont l’aura pâlit,
Vient mourir dans tes bras quand l’aurore abolit
D’une rose clarté son étoile éphémère.
 
Nul chat dans Ilion ; mais parfois à Délos
Les tiens feulent avec Artémis et Phœbos             (*)
Dans des chœurs partisans qu’anime
                                                   [ Zeus lui-même.

Moi je défie Achille (et son écho Stentor)
Quand dans l’exil, hélas, où j’écris ce poème
Je te rêve Andromaque et je me rêve Hector.


 (*) Les jumeaux Artémis (Diane) et Phœbos (Apollon), enfants de Zeus (Jupiter) et Léto (Latone), nés dans l’île de Délos, semblent avoir été les seuls dieux « félinisés » dans la  mythologie grecque.


variation 59

Gabrielle me trompe avec Homère (2)
(l’Odyssée : « Quatre Èves en toi seule, ô Pandore ! » )



Les "Èves" d’Ulysse : Circé, Calypso, Nausicaa et Pénélope


Gabrielle d’amour, sur le fil d’Atropos                            (1)
Ta lecture te fond au mythe de Pandore ;                      (2)
Homère la divise en quatre… ouvrant l’amphore
Pleine des maux conçus par Zeus, fils de Cronos.

Circé, déesse, amante et polyphármakos,                    (3)
Précède Calypso (celle d’Apollodore) ;                    
Puis vient Nausicaa, la vierge canéphore ;                   (4)
Pénélope, fidèle, attend auprès d’Argos.                       (5)

N’ayant à craindre que, sur la route d’Ithaque,              
Leur trière ne sombre aux noirs Enfers d’Éaque,     (6) (7)
Tes sept chats sur ton lit ronronnent sans effroi.

 
Dans ce périple hélas, à tes rêves laissée
C’est toi l’Ève quadruple ! Ah, pour rester ton roi
Que ne suis-je l’Ulysse de ton Odyssée !


Lexique (source Wikipedia) :

(1) Atropos : une des trois Moires grecques, divinités du destin.
(2) Pandore : femme créée sur l’ordre de Zeus pour se venger des hommes après le vol du feu par Prométhée. Zeus offrit Pandore en mariage au frère de Prométhée, en même temps qu’une boîte (en fait c’était une amphore) à ne pas ouvrir. Celle-ci contenait tous les maux de l’humanité qui s’en échappèrent lorsque Pandore l’ouvrit. La boîte de Pandore trouve quelque équivalence dans la Bible avec la pomme d’Ève.
(3)  polyphármakos (grec ancien) : magicienne experte en drogues et poisons propres à opérer des métamorphoses.
(4) canéphore : jeune fille de distinction qui portait sur sa tête une corbeille de fleurs consacrées au culte.
(5) Argos : le chien fidèle d’Ulysse.
(6) trière : vaisseau de la Grèce antique.
(7) Éaque
: un des trois juges des Enfers.



variation 60

Gabrielle me trompe avec un amiral

Figure de proue, musée maritime de Brest.  (ALP phot.)

Bienheureux le vent pur caressant ta beauté !

 

Gabrielle d’amour, hier simple matelote,
À la proue aujourd’hui d’un navire amiral
Tu dénudes ton buste antique et sculptural.
Moi je pars dans la soute et j’en demeure l’hôte.

À la poupe, savant, le pacha de la flotte
T’invite à parcourir son codex sidéral
— Qui inclut le fameux bi-sextant latéral
Pratiqué même si la houle vous ballotte.

Bienheureux le vent pur caressant ta beauté,
Mais bas l’officier qui par rivalité
Exile tous tes chats près de moi dans la cale !

Hélas ! Avec les sept rêvant en octuor,
Navré de n’être plus même un amant d’escale,
J’aspire à retourner dans mon pays d’Armor.

 

  coll. ALP




variation 61

Gabrielle me trompe avec un nain de jardin



censuré


Synopsis :

Un trouvère paillard — de genre diableteau
Mais jouant du tuba plutôt que du flûteau —
D’un cirque libertin compose le plateau ;
À ta juste hauteur érigeant son poteau,
Sur ton boulingrin vert il  tend un chapiteau
Puis t’y roule une pelle et m’envoie au râteau.

 

Gabrielle d’amour, mon savoir horticole
N’étant guère celui d’un amateur fervent,
Me voilà remplacé, viré hors ton auvent,
Par un nain jardinier de légendaire école. 

L’esprit de Rabelais, libre de protocole,
T’a menée à son gré comme déjà souvent ;
Expert dans la toupie et le moulin à vent,             (*)
Ton amant sur gazon se nomme Microchole.

De pelouse privés par l’obscène nabot
Qui là s’auto-brouette autour d’un escabeau,
Tes chats en septuor te grondent, Blanche-Neige !

Tandis que moi, hélas, relégué sous l’abri,
Incrédule face à l’extravagant manège,
Je porte sur ton gnome un regard assombri.

.

(*) La toupie et le moulin à vent sont des figures amoureuses acrobatiques dont raffolent les nains de jardin priapiques. On les trouve décrites dans le catalogue indien Khamkül déjà mentionné ici (variation 32). Gabrielle, d’abord seulement curieuse, y excelle désormais.



variation 62

Gabrielle me trompe avec le sable
(d’après Stéphane Mallarmé, Tristesse d’été, rimes conservées )



phot. ALP

Gabrielle d'amour, ô danseuse endormie,
La plage en fin d’été t'offre un nid langoureux ;
Tu t’y loves sans moi, puis la houle ennemie
Efface sur l’estran nos pas aventureux.

Mon âme — que ton âme en cet adieu renie —
Me fait dire, observant ton sommeil en ce creux :
« Nous ne serons jamais d’éternelle harmonie,
Dans un linceul de sable et de varech, heureux ! »

Tes chats en septuor, telle une larme tiède
Noyant de sa douceur ton regard qui m’obsède,
Annoncent un Néant qui me semble un trépas ;

Car le fard que j’ai bu coulant de tes paupières
Hélas ne peut donner au cœur que tu frappas
L’insensibilité minérale des pierres !

 


phot. ALP





variation 63

Gabrielle me trompe avec le boucher

Stéphane Basso

Gabrielle d’amour, ton instinct putassier
Que l’on connaît déjà depuis longtemps, ma chère,
Te confère le rôle, ici, d’une bouchère
Auprès de son boucher tout saigneux et grossier.
  
Le rustique bonhomme ― un glouton carnassier ―
Consomme dans ton lit ma plus exquise chère
Puis, moquant les valeurs marine et maraîchère,
M’offre un pied de cochon pour m’en remercier. 

Réjouis à leur réveil par une odeur de tripes,
Tes chats pieusement respectant les principes
Entonnent tous les sept un bénédicité.

Et moi, Breton tout seul hélas dans sa cuisine,
Gardant pour le poisson toute fidélité,
Je guette sur le port ton retour, Mélusine !



Le retour de « Mélusine », Copenhague, 2010



variation 64

Gabrielle me trompe avec un explorateur (*)

Gabrielle d’amour, d’un errant tropical
Tu détournes chez toi la course aventureuse ;
Il y trouve une hôtesse affable et curieuse
Dont je suis, pense-t-il, le simple boy local.

Sur un plan déporté du ciel zodiacal
L’explorateur découvre un sentiment qu’il creuse ;
Puis quand de ses récits tu te fais dévoreuse
Seul me reste un ego grisâtre et monacal.

Tes félins de salon, par l’instinct mis en garde,
Redoutant qu’un lancier (de brousse) ne les darde
Feulent un septuor par trop agitato ;

Et moi qui sais l’amant que ton fantasme exhume
Je me permets hélas, face à l’incognito,
D’emprunter à Stanley
                       [ son mythique « … I presume »   (*)



(*)  « Doctor Livingstone, I presume ? »



variation 65

Gabrielle me trompe avec quatre marins pêcheurs

Bruno Lécuyer, coll. ALP

Gabrielle d’amour, c’est sur la mer d’Iroise
Entre l’île Molène et Lampaul-Plouarzec,
Qu’en poupe du bateau des frères Goarnec
Tu fais encore offense à ta ligne bourgeoise.

Les quatre gougnafiers que ton sel apprivoise,
T’offrent comme grabat les lames d’un varech
Tout frais (mais où parfois un brin de tali sec
T’égratigne et t’arrache une plainte grivoise). 

D’un feulement fébrile, attendant leur poisson,
Tes chats dont l’appétit renforce l’unisson
Blâment en septuor ta fredaine griève.     

Hélas ! Pour ta chapelle, à défaut d’ex-voto,
Chère amante voici, composés sur la grève
Déserte de Portsall, ces vers ab irato.


ALP phot.



variation 66

Gabrielle me trompe avec un confesseur
(sonnet à deux rimes)

El Greco


Lecture préalable conseillée : extrait du Grand Inquisiteur, pièce de théâtre de Dagobert de La  Butte aux Piles, traduite du vieux français par Hilare Poilaunet. 

Le comte de La Butte aux Piles : [...] Or quoi ! à mon retour de croisade, quelle n’est pas ma douleur d’apprendre que mon épouse Gabrielle-Effregonde, celle-là que je croyais si fidèle et que je chérissais durant mes lointains combats, se livrait avec mes vassaux, écuyers et valets, à toutes sortes de gymnastiques coupables qui…

Le Grand Inquisiteur : Plus tard, Messire, vous me raconterez tout cela plus tard, en privé et en prenant le temps qu’il faut. Car comprenez-moi. Comment un homme d’église, qui entend si souvent à confesse le péché de la chair, pourrait-il moduler le juste pardon de Dieu s’il connaissait seulement de cette faute les figures banales dont se repentent, lors de componctions routinières, des contrits sans imagination ? Quel ennui ! Comparer moult variantes dont viennent heureusement s’accuser des libertins plus inventifs, y étudier les postures du Malin, analyser leur gravité et adapter ensuite à chacune la pénitence qui lui convient, compose le devoir d’un confesseur et enrichit son expérience. Mais ce serait de la vanité, n’est-ce pas, que de prétendre tout savoir de l’intelligence déployée par le Diable dans les alcôves ? C’est pourquoi, Messire, sans ménager ma pudeur ni craindre d’offenser ma dignité ecclésiastique, vous me décrirez plus tard les trouvailles originales, pittoresques et techniques, qui agrémentent sûrement les cabrioles de votre épouse friponne ; elles ne pourront que développer mon savoir de juge et améliorer ainsi l’exercice de mon saint ministère. C’est d’accord ?

Le comte de La Butte aux Piles : Veuillez juger d’abord cette possédée du Mal, puis l’occire, ô Sire. […]

Gabrielle d’amour, un nouvel invité,
Expert dans le pardon de tous péchés d’alcôve,
Vient apprendre chez toi ce que le Diable innove
Afin d’en mesurer la juste gravité.

Ta science soumise en intime aparté
Fait de lui ton amant. De l’Enfer il te sauve
Sans avoir à t’absoudre ici du stupre fauve
Où lui-même se vautre en parfaite piété.

Craignant l’inquisiteur qui dans ton lit se love,
Doucement tes sept chats ronflent à la guimauve
Mêlant leur cantilène aux cris de l’exalté.

Chassé par le doigt pourpre et l’améthyste mauve,
Moi hélas en deux vers je franchis le Léthé 
Puis rejoins Tchernobog la nuit sur le mont Chauve.  (*)



(*)  chauve : après exclusion de ove et quinquenove, voilà le seul mot, non utilisé déjà, obligé donc, se terminant  par -ove ou -auve selon le dictionnaire des rimes de Pierre Desfeuilles (Bordas, 1992). Non, il n’arrive pas là comme un cheveu sur la soupe ! Une pensée pour Eugène Ionesco dont la célèbre cantatrice aurait pu trouver place ici.


Philippe Hauchecorne, coll. ALP



variation 67

Gabrielle me trompe avec un moniteur de ski
(sonnet à deux rimes)



Gabrielle d’amour, chroniqueur ou copiste
Je dois fuir ton slalom et le nouveau maquis
Des caprices d’un cœur que jadis je vainquis ;
De fait voilà brisé mon mirage utopiste.

C’est qu’un as de descente (et d’amantes hors-piste),
Moniteur transalpin (de tes gloires enquis)
Puis séducteur hors pair (à tes gloires acquis),
Voulait que je vous tinsse un bougeoir de lampiste !

Tes chats en septuor — au chaud les gras marquis ! —
Retiennent dans ton lit ce champion conquis
Par le ronronnement sournois qui le dépiste ;

Tandis que moi hélas, avec ou sans mes skis
Ne pouvant endurer la chasteté trappiste,
Je reviens, mais en rêve, à tes baisers exquis.




variation 68

Gabrielle me trompe avec Denis Papin




Gabrielle d’amour, c’est un vrai chaud lapin
Qui, plein pot la chaudière et la bielle en folie,
Te mène au terminus dont son rut me spolie ; 
Ce mécano doué n’est pas un galopin.

Le bougre prétend même être Denis Papin !
Astiquant son piston, fourbissant ta poulie,
Devant le foyer rouge où son feu m’humilie
Il m’envoie au charbon, plus fourbe que Scapin.

Quand d’un cheval-vapeur tu t’étends sur l’échine
Puis que sans frein ni mors vous lancez la machine,
Ton chœur de chats s’unit au vacarme alentour.   (*)

Et moi fuyant la bête hélas qui fume et tonne,
Dans le train Paris-Brest, sans billet de retour,
Je rêve la douceur d’une amante bretonne.


(*)   Le vacarme alentour : ce sont les hennissements de toute la horde des chevaux-vapeur.






variation 69

Gabrielle me trompe avec quarante académiciens
(sonnet à deux rimes)

coll. ALP

Gabrielle d’amour, Paris, quai de Conti…   
Domiciliant là ta propre académie
Je te fais mes adieux, maîtresse d’infamie,
Laissant quarante élus tirer de toi parti.                  

Friande des ardeurs d’un collège averti,
Au dortoir juste après ton cours d’anatomie,
Hormis quand les Nestors ont besoin d’accalmie 
Tu les honores tous, triomphe garanti !    
      
Tes chats abstinents qui t’attendent endormie
Feulent en septuor, perdant leur bonhomie
Lorsque du Grand Bonsoir tu lances le tutti.

Hélas, amplifiant encor ta boulimie,
Dois-je aussi me douter que demain ― sapristi ! ―
Vous siesterez ensemble et sans cacochymie ?




variation 70

Gabrielle me trompe avec quatre-vingts chasseurs
(sonnet à deux rimes)



Albert Dubout

 

Gabrielle d’amour, très obscène marquise,
Le compte est bon ! Tu m’as ôté de neuf fois neuf
Pour faire dix fois huit ; c’est la preuve par meuf         (*)
Que me voilà banni de ta chambrette exquise.

Un essaim de chasseurs ― quatre-vingts ! ―  t’a conquise.
Dans cet excès d’abord je ne vis que du bluff,
Puis vite j’errai seul, tout chagrin, tel un veuf,
Sourd aux cris égrillards que ta luxure aiguise.

Mais bravant aujourd’hui tous ces pochards en teuf 
Ton septuor de chats leur retourne l’esteuf
En miaulant les chants qu’Albert Dubout déguise.

Ainsi, prié d’aller me faire cuire un œuf,                    
À Camaret j'arrive et consomme à ma guise                  
Filles et homards bleus le soir sur le port neuf.         (**)



(*)     Preuve par meuf :     9 x 9 -1 = 10 x 8 = 80
(**)   Un homard breton en remplacement d’un œuf, une kyrielle de  filles aimables en remplacement d’une maîtresse qui me trompe sans cesse, devrais-je me plaindre ? Non. Donc pas de « hélas » ici !







variation 71

Gabrielle me trompe avec un phare et avec son gardien

 

Gabrielle d’amour, l’apparence phallique
Des phares te tourmente. Au large d’Ouessant,
Priapique une tour écume en jaillissant
Et transperce ton ciel d’un feu parabolique. 

Le gardien du fanal, âme mélancolique,
Contradicteur muet d’un noroît rugissant,
Ermite austère plus qu’amant obéissant,
Balance sur tes flancs sa houle symbolique.

Palliant leur défaut de toute érection,
Tes chats te suivent dans ta rare ascension
Puis, parvenus là-haut, triomphent en chorale.

Et moi face au concert des vents et de la mer,
Hélas exclu de ta libido théâtrale,
Je m’aligne jaloux, de loin, sur ton amer.



.




variation 72

Gabrielle me trompe avec la Joconde  (*)

 

Gabrielle d’amour, tu voles la Joconde
Dont le sourire vague (et mythique ô combien)
Fait tressaillir mon cœur tout autant que le tien.
Oui, je la veux soustraire à ta faim vagabonde.

Ma plume m’obéit et devient inféconde.
Que ton plan soit ludique ou baudelairien,
C’est pour le récuser que j’impose mon lien,
Laissant la Florentine en dehors de ton monde.

Léonard se cachant sous le nom de Nestor              (**)
Pourrait faire la rime avec ton septuor,
Mais l’artifice est vain quand la muse est féroce.

Ainsi l’intemporel objet de mes tourments,
Déniant de ces vers le titre hélas précoce,               (*)
N’a pas à figurer sur ta liste d’amants.



(*)  Ce titre est mensonger. Non, Gabrielle ne m’a pas trompé avec la Joconde et elle ne le fera pas, j’en décide ainsi ! Étant la victime de ses tromperies, certes, mais étant également le scribe de la saga, j’ai loisir de refuser cette rivale dont Gabrielle est indigne ; et de corriger également les choix de celle-ci faits automatiquement (et à mon insu) par un processus amoureux séquentiel déjà aléatoire mais devenu autonome.

(**) Il eût été équivalent d’écrire « sous les pieds de Nestor », ces deux pieds-là étant évidemment pris dans leur sens prosodique ; mais mal comprendre cette expression et risquer de considérer Léonard de Vinci comme la paire de semelles de l’autre vieux barbu qui lui ressemble, celui-ci fût-il le roi de Pylos, aurait été inconvenant.



Léonard de Vinci                        Nestor, roi de Pylos




variation 73

Gabrielle me trompe avec un barman anglais

 

Gabrielle d’amour, moi prié d’escampette
Je me trouve évincé des feux de ton autel
Par un barman anglais maestro de cocktail
Mais séducteur aussi de ladies en goguette.

En appui sur le coude et longue cigarette,
Haute sur chaise au bar de quelque Grand Hôtel,
Pour toi voici jongler l’amant avec lequel
Tu palabres comtesse et flirtes midinette.

Grisés par les esprits du havane et du rhum,
Blottis dans les fauteuils cuir vert d’un décorum,
Tes chats ronflent en chœur tout mols de somnolence ;

Tandis que le fameux roi du bartending flair,      (*)
Hélas en play working au niveau d’excellence,
Sous tes yeux éblouis fait valser son shaker.




(*)  bartending flair, play working, voir ici





variation 74

Gabrielle me trompe avec trois Amazones (*)


Brouette féminine sommaire à quatre éléments.
Peinture de François Boucher d’après une idée de Mme de Sévigné
(musée de Baderne-sur-Lauquet)

 

[...]   Je suis fourbue, ma bonne. C’est que je suis arrivée il y a deux jours seulement à Baderne-sur-Lauquet afin de lire sur place, à mon tour et dans son jus, le manuscrit dont vous-même et les meilleurs esprits de Versailles m’aviez dit la qualité. Après un accident de voiture à quelques lieues du village, j’ai dû terminer le trajet à pied. Il pleuvait, la route était la plus boueuse du monde, mais la hâte de lire qui me pressait me détourna de toute toilette immédiate, et c’est donc crottée jusqu’au cul que je me suis immédiatement rendue à la bibliothèque municipale pour accéder au monument littéraire qui a fait la gloire de ce lieu. [...] 

[...]   J’ai lu attentivement le beau passage qui vous a tant marquée, cette drôle et savante brouette à laquelle les hommes s’attellent ici avec zèle pour y rechercher l’analogie universelle que Dagobert de La Butte aux Piles a si bien décrite et qui semble lui avoir été dictée par les mânes des Pharaons eux-mêmes. Mais quel dommage que notre sexe, à nous les femmes, nous interdise de telles approches mystiques et leur félicité ! Il faudra bien que nous imaginions un jour une brouette équivalente qui s’accommode de notre nature. J’ai déjà mon idée là-dessus [Voir ci-dessus une image provisoire conçue par Mme de Sévigné, ndlr]. Certes on trouve parfois des femmes dans certaines brouettes masculines, mais je me refuse, moi, à injurier ma féminité avec cet attribut artificiel qu’elles attachent à leur corps pour paraître ainsi que sont faits les hommes. [...]

Mme de Sévigné (extraits d’une lettre à Mme de La Fayette, 1672) 

 

Gabrielle d’amour, te voilà prosélyte
De la brouette à quatre.Outrant un jeu viril  
Dont on connaît pourtant le risque et le péril,   (**)
D’Amazones en feu tu te fais l’acolyte.

Dans ce groupe la mâle Antiope milite 
Pour la modernité. Le temps n’est qu’un exil
D’où l’amante revient, fidèle à son profil,
Chevaucher Mélanippe et la reine Hippolyte.

Tes sept chats relégués en haut du baldaquin,
Observent se mouvoir le pseudo-palanquin
Où toi, l’aurige au fouet, tu cingles tes copines.

Et lorsque votre ensemble aux portes de l’enfer
Improvise un chorus de folles Proserpines,
Que n’y suis-je Pluton hélas… ou Lucifer !


(*)  Une liste d’Amazones  : https://odysseum.eduscol.education.fr/le-nom-des-amazones 

(**) On connaît les dangers de la brouette masculine parfois appelée
brouette maltaise ou palanquin chinois. Cette figure acrobatique,a été décrite pour la première fois (en vieux français) par Dagobert de la Butte aux Piles au 13e siècle ; cette description très précise est mentionnée dans le catalogue indien Khamkül et le spécialiste Hilare Poilaunet en a donné récemment une rigoureuse traductiont. Voir ici : http://alepour.free.fr/site-texte/LGI/LGI-s7.html#br 

 



variation 75

Gabrielle me trompe avec un golfeur
(rimes abba abba ccd eed)


 

Gabrielle d’amour, un champion volage,
Dragué sur quelque golf, se plie à la raison
De ton propre fairway. Viré hors ta maison,
Je suis victime encor, moi, de ce racolage.

De son index zéro ton amant fait battage ;
Ainsi pour te prouver l’éclat de son blason,
Sur un demi-parcours, sans quitter ton gazon,
Il t'aligne neuf pars — on ne peut davantage.

Tes chats autour du trou, d’abord silencieux,
Vantent parfois en chœur tel coup audacieux
Qui conclut un iguel sans pause sur le grine.       (*) (**)

Moins te plaît mon vieux fer que le club tout-terrain,
Et moins mon geste, hélas, que le swing souverain ; (***)
Quand plane l’albatros, la mouette est chagrine. 

 

(*) Entre l’eagle anglais et l’aigle québécois, j’invente ici l’iguel français.
(**) Entre le
green anglais et le vert québécois, j’invente ici le grine français. Rime oblige.
(***) Hommage final à Joachim du Bellay, « Heureux qui comme Ulysse…», rimes conservées.






variation 76

Gabrielle me trompe avec un organiste


phot. ALP


Gabrielle d’amour, un orgue te subjugue,
Et plus encor son dieu, l’Éole des tuyaux,
Lequel pour inhiber tes sentiments loyaux
T’embarque sans prélude et m’oblige à la fugue.

Quand bien même n’es-tu la Vénus de Lespugue  (*)
Qui dans ses flancs retient les airs mémoriaux      
Des Autans, mon rival souffleur de vents royaux
T’honore des soupirs que son talent conjugue.

Tes sept chats répartis du sommier au buffet,
À votre passacaille ajoutant quelque effet,  
Du haut de la tribune animent la grand-messe ;

Et moi lorsque ton psaume (avec l’autre au clavier)
Fuse en mode majeur sans bémol de sagesse,
Dans la crypte je ronge hélas mon sablier.



(*) la Vénus de Lespugue, « organique »  Occitane
gonflée  par 25 000 années de vent d’autan
(répliques du musée de l’Homme, Paris) :




variation 77

Gabrielle me trompe avec Napoléon (*)


coll. ALP

Gabrielle d’amour, en recherche d’exploit,
Au cinéma non stop tu jalouses l’actrice
Qui dans un fabuleux rôle d’impératrice
Te chamboule la tête et fait ton désarroi.

Réinventant le film et signant mon renvoi,
Voilà que tu n’es plus simplement spectatrice
Et que Napoléon dit à sa séductrice :
« Gaby, oh ! ma Gaby, je suis content de toi. »    (**)

Craignant que ta mytho ne finisse en déroute, 
Tes chats toujours présents sur le bord de ta route      
Mêlent leur septuor au corsico-mélo.                   (***)

Hélas, moi pour vous fuir je retourne à Molène,
Mon île en mer d’Iroise où j’attends Waterloo
Mais dont la rime aussi présage Sainte-Hélène.

 

(*) «  Napoléon », film de Ridley Scott sorti en salle le 22 novembtre 2023. Dans les trois jours suivants, Gabrielle l’aura déjà vu six fois et la voici follement éprise de Napoléon.

(**)  « Gaby oh ! Gaby » (chanson d’Alain Bashung et de Boris Bergman)
      « Soldats, je suis content de vous ! » (Napoléon, après la victoire d’Austerlitz)

( ***)  « Tes chats ces sept héros au bel canto si doux… » (?)



coll. ALP




variation 78

Gabrielle me trompe avec François Caradec
1) auteur oulipien né à Quimper  (*)         2)  paysan breton  (**)


François Caradec (Quimper 1924 - Paris 2008), membre de lOulipo en 1983

Gabrielle d’amour, voilà deux Caradec !
L’Oulipien François brille par l’écriture
Et l’autre (François bis) te vante sa culture ;
Leurs succès alternés font de moi le roi des c … (***)

Le premier sait t’offrir l’abscons salamalec
Qu’il mûrit au creuset de sa littérature ;
Dans les champs le second satisfait ta nature
Plus friande de lui que des œufs de Perec.

Après leurs beaux efforts l’un chante dans la rue     (*)
Quand l’autre bruyamment ronfle sous sa charrue
Loin de tes sept matous sourds à tout ce flon-flon.

Moi, hélas, récusant leurs droits à la médaille
― Podium agricole ou laurier de salon ― 
Sur ta paire d’amants je verse ma rimaille.

 

(*)      François Caradec - 1
(**)     François Caradec - 2    
(***)   Nicolas Leroidec[ocus], monarque cher à Pierre Dac.




phot ALP


  Non seulement agriculteur, le deuxième François est aussi un éleveur (voir le lien ci-dessus). Mais ses vachettes sont parfois mal élevées car ce n’est pas poli de mettre sa langue dans son nez. Au dernier salon de l’Agriculture à Paris, face au président Macron en position déjà difficile, voilà qui eût été du plus mauvais effet.



variation 79

Gabrielle me trompe avec le fromager




Gabrielle d’amour, quel est donc ce roi mage
(Sans myrrhe ni benjoin ni musc oriental)
Qui t’enivre aux senteurs lait cru de son étal ? 
Tu comprends que j’en fasse ici tout un fromage.

Ce nouveau locataire en guise de fermage
Ressuscite chez toi les volcans du Cantal,
Et visant le cosmos dans un trou d’emmental 
Il t’y projette en un vertigineux hommage.

Ton chœur de chats, jaloux, honnit l’époisses fort,
Le noble appenzeller, l’orgueilleux roquefort  
Et tous les arguments du crémier galactique        (*)

― Quand moi-même en exil, au resto Chez Bébert,
Hélas pour éviter la pente névrotique
J’en viens à me priver du bon vieux camembert.

(*) C’est bien galactique qu’il faut écrire ici et non gars lactique. En effet, comme Louis Pasteur l’a fait remarquer très justement, c’est la crème qui devient lactique, pas le crémier.

 



variation 80

Gabrielle me trompe avec le Cid




Gabrielle d’amour, le pathos rhétorique
De Corneille t’exalte au point qu’un vague acteur
Qui se prétend le Cid, fût-il un imposteur,
Devient le lauréat de ta flamme lyrique.

Réinventant Chimène en maîtresse hystérique
Au mépris des vertus que proclame l’auteur,
Te voilà donc offrir ensemble au séducteur
La classique héroïne et la louve ibérique.                  (*)

Endormis sur ton lit près du Campeador,
Tes chats rêvant d’Espagne et de chamarres d’or
Louangent en chorus le prince de Valence.
 
Dans ce théâtre hélas d’où je ne puis sortir,
Cornélien moi-même et réduit au silence,
Le seul rôle qui m’aille est Polyeucte... en martyr.   (**)

 

(*)    Du Cid sulfureux à la Cide sulfurique, c’est Chimène et sa chimie. Ben oui, quoi !

(**)  Rappelons que Polyeucte meurt (en martyr) avant la fin de la pièce de Corneille dont il est le héros éponyme.

 



variation 81

Gabrielle me trompe avec Notre-Dame de Callot


ALP phot

         Il eût été sacrilège que Gabrielle me trompât vulgairement avec la mère de Dieu. La présente tromperie se devait donc d’être mystique : apparition et Assomption.

        Qu’est-ce que l’Assomption de la Vierge Marie ? Après la résurrection déjà symbolique du Christ, l’Église n’a pas souhaité s’encombrer avec d’autres complications et a décidé que la Vierge était montée directement au Ciel, corps et âme ensemble, sans passer par la mort. L'Assomption (du verbe latin assumere, « prendre avec soi ») serait ainsi l’enlèvement par Dieu (le père), de la mère de son fils. Mais cette « élévation » étant difficile à prouver, l’Église aurait ensuite admis qu’il s’agissait plutôt là d’une supposition « assumée » par elle, d’où le même mot Assomption dans une interprétation légèrement différente du verbe latin, mais toujours  assorti d’un A majuscule en raison de la divinité du personnage.

          Gabrielle se sera ainsi identifiée par Amour à la Vierge Marie puis l’aura rejointe au Ciel dans une Assomption analogue à la sienne. Une sainte aussi, quoi ! Qui l’eût cru !


Gabrielle d’amour, en route vers Cythère
Tu fais halte chez moi. Cette apparition,
Je la sublime ici par ton Assomption
Sur l’île de Callot, perle du Finistère.

En ce jour de pardon, la vierge et sainte Mère
T’ouvre grand sa chapelle ; et la procession 
Qui transcende le cours de ta dévotion   
T’emporte corps et âme en un pieux mystère.

Tes sept chats inquiets du flux et du courant, 
N’osant pas traverser la passe de l’estran,         (*)
En chœur depuis le port t’adressent
                                             [ leur complainte ;
           
Tandis que moi, hélas, je te pleure ― Atala ! ―
Sur le sable où la mer efface ton empreinte
Mais où le noroît chante : « Ave Maris Stella »   (**)

                                                   

(*)  La route entre l’île (de) Callot et le continent (à Carantec) est submer-sible. Le passage, selon l’heure et la marée, peut être dangereux.

(**)                                                                                                            

Ave, Maris Stella,
Dei mater alma
Atque semper virgo
Felix cæli porta.

Salut, Étoile de la Mer,
Mère nourricière de Dieu
Et toujours vierge,
Bienheureuse Porte du Ciel.





variation 82

Gabrielle me trompe avec Paul Neirvale
d’après El Desdichado de Gérard de Nerval
(rimes conservées : abab – abab – cdd – cee)


Gérard de Nerval                                Paul Neirvale                                        Paul Verlaine


Gabrielle d’amour, au Procope exilé
Le ténébreux Neirvale à ton âme s’allie.
Cet amant qui dit être un veuf inconsolé
T’éclaire au soleil noir de sa mélancolie.

L’ivresse du poète au loin m’a refoulé.
Tous ses verres vidés et sa raison pâlie
Ouvrent ton cœur aux mots dont, jamais dessoûlé,
Il t’honore bientôt en prodigue folie.

Tes sept chats sur le zinc, accros du biberon,
Se pochardent en chœur avec une sirène
Rougie au vieux brandy qui teinte et rassérène ; (*)

Et moi qui tente hélas, ainsi qu’un fanfaron,
De rejoindre Aréthuse en me croyant Alphée,   (**)
Je rêve de ta grotte et d’eau pure, ô ma fée ! 



 (*)  L’auteur de ce sonnet a bien écrit «au vieux brandy qui teinte et rassérène » et non pas « au vieux dandy qui teint et rase Irène » ; il a eu raison car non seulement cela n’aurait eu aucun sens, mais encore et surtout, soyons logiques, pourquoi teindre Irène si c’est pour la tondre ensuite ? (Louis Aragon (de Tarazcon)

(**)  L’auteur n’a rien du dieu grec ALPhée, mais on remarquera néanmoins sa signature incluse..

le dieu fleuve Alphée



variation 83

Gabrielle me trompe avec un libraire (érotique)




Gabrielle d’amour, ton goût pour la lecture,
Que je savais déjà, s’amplifie aujourd’hui
Et règle ta façon de combattre l’ennui.
Tu recherches, c’est clair, toujours plus d’aventure.

Voilà donc qu’un libraire admirant ta culture
Ainsi que ton travail pour cultiver autrui
Te conquiert sans effort (ce faraud sûr de lui
S’est fait peindre en Éros, nu sur sa devanture).

Tes sept chats savent lire ; ils condamnent en chœur
Ton amant bouquiniste et marchent par rancœur
Sur les livres de cul qui jonchent sa boutique.

De cette farce enfin c’est moi le dindonneau     
Quand de retour hélas chez ma Norma celtique      (*)
J’honore ― oh ! chastement ― sa lune
                                                     [ à Landerneau.  (**)


(*) Vincenzo Bellini, Norma, Casta Diva (Chaste Déesse) et Maria Callas
(**)
  La Lune de Landerneau

 


À Landerneau, quand la lune éclaire les amoureux,
c’est du bonheur pour tous les deux




variation 84

Gabrielle me trompe avec Tintin
(rime unique)




Gabrielle d’amour, l’ardent diablotin,
Qui du matin au soir et du soir au matin
Te joue « Objectif Lune » à coups de roulpatin,
Prend ma place chez toi… Qui l’eût cru ? C’est Tintin !

Amant, il a perdu son ressort enfantin
Et se flatte la mèche ainsi qu’un galantin ;
Hors les bulles d’Hergé l’ex-reporter lutin
Libère ― qui l’eût dit ? ― un fougueux baratin.

En réponse à ses airs de ténor florentin,              (*)
Tes chats tels les abbés d’un couvent libertin
Lui font dans l’ombre un chœur qui paraît clandestin ;

Tandis que moi hélas redevenu fretin,
Je rentre à ma maison de Quimper-Corentin
Où parfois Bécassine épouse mon destin.          (**)


(*) La Castafiore est passée par là.
(**)
 
Théorie du bi-genre,
question d’économie amoureuse,
un(e) amant(e) pour deux,
de la mèche à la coiffe,
Tintin pour Gabrielle,
Bécassine pour moi



variation 85

Gabrielle me trompe avec un pilote de ligne





Gabrielle d’amour, voyageuse en transit,
Peu t’importe à présent l’aventure d’escale
Car voilà qu’évinçant une hôtesse rivale
C’est toi que le pilote expédie au zénith.

Il te sacre en plein vol reine de son cockpit
Puis traite avec bonheur tes ciels et leur spirale ;
Bientôt dans un trou d’air il perd toute morale
Et pousse l’accessit jusqu’au satisfecit.

Tes minets enfermés ronronnent dans la soute ;
Imperceptiblement leur septuor s’ajoute
Au duo des moteurs glissant sur l’orbe pur ;

Et moi sur le tarmac, hélas, battant de l’aile
Ainsi qu’un albatros que l’on prive d’azur,
J’attends je ne sais quoi d’un destin parallèle.

 


(Casablanca)



variation 86

Gabrielle me trompe avec un maître d'échecs



Gabrielle d’amour, un prince du Levant 
― Batailleur dont l’esprit tortueux se déplie
Dans la mathématique et dans l’eutrapélie ―
Sur ton lit quadrillé t’enseigne un jeu savant.

Je sais voir sous les doigts de ton nouveau servant
Deux chefs diagonaux sujets à la folie,
Et dans les coins deux tours que le stratège allie
À deux Pur-sang trotteurs qui zigzaguent devant.

Tes sept chats répartis sur la première ligne,
Flanqués du fantassin que la huitaine assigne,
Font un chœur martial au séducteur comblé.

Hélas ces quelques vers ne valent guère d’armes
Quand après tant d’échecs je me trouve accablé
Et que ma reine encor voue au maître ses charmes.

 


     Félix Vallotton

 



variation 87

Gabrielle me trompe avec le plombier




Gabrielle d’amour, la machine qui fuit,
La pompe qui se bloque, un robinet précaire
(Où ma rime suggère un excès de calcaire) : 
Ton plombier de secours triomphe et m’éconduit ;

Et puisqu’il purge là, gratis, l’entier circuit
De ta tuyauterie, ajustant son salaire
Tu lui sers en plein jour ton meilleur savoir-faire
C’est à dire tout l’art d’une belle-de-nuit.

Sous le radiateur réparé de ta chambre,
Tes sept chats retrouvant la tiédeur se cambrent
Et font chorus avec ton amant qui s’endort ;

Alors que moi hélas, descendu dans la cave,
J’attends d’y voir venir bientôt l’autre butor
Qui livre le fioul dont ton brûleur se gave.




                                          



variation 88

Gabrielle me trompe avec la statue de la Liberté


Gabrielle d’amour, va, prends ta liber
Et garde le poster (à New-York ache)
Où la torche au secours d’un monde sans clar
Allume aussi les feux de ta lubrici !

La muse Libertas du sculpteur exal,
Inventive en tes bras, devient ta déi ;
Elle accroît dans ton lit la multiplici
Des amants pris au jeu de votre pari.

Tes sept chats qu’humilie une telle san
— Insolente eu égard à leur infirmi
Font en chœur le procès de l’infidéli.         (*)

Mais moi mis en retrait de ta moderni,
Je ne retiens parmi neuf cents rimes en -,
Qu’un mot pour me décrire, hélas : désenchan.

 

(*) Ou au contraire :

        
   Tes chats admiratifs d’une telle san,
            Oubliant pour un temps leur triste infirmi,
            Font la louange en chœur de l’infidéli.

    (Ce tercet immoral est laissé au choix du lecteur.)

 



La déesse romaine Libertas (Böcklin pinx.)




variation 89

Gabrielle me trompe avec Europe



Jean Cousin

 

Gabrielle d’amour, c’est dans ton lit qu’Europe,
Après avoir séduit déjà vingt-sept taureaux,
Se couche en me priant, sporadique héros,
D’aller poursuivre ailleurs ma course héliotrope.

La belle Levantine au profil interlope
A berné tout l’Ereb, des rois jusqu’aux marauds ;  (**)
Elle est même arrivée auprès de ces pierrots
À se faire passer pour une philanthrope !

Des millions de chats joints à ton septuor
Miaulent de concert un politique accord
Plébiscitant l’amante et l’apatride impie.

Et moi soumis hélas à ce double péril,
Craignant la fédérale et mortelle entropie
De l’uniformité, dois-je prendre l’exil ?

 

(*) Europe, fille d’Agénor, roi de Tyr, est d’abord une princesse phénicienne ; elle deviendra  la reine de Crète, épouse d’Astérion, après savoir été l’amante de Zeus. Pour la séduire et  pour échapper à la jalousie de son épouse Héra, celui-ci s’était métamorphosé en un magnifique taureau blanc. 

(**)  Ereb est le mot utilisé par les marins phéniciens pour désigner le rivage ouest de la mer Égée (« le couchant »). Par la suite, il aurait désigné tout le continent à l’ouest de ce rivage, c’est à dire l’Europe actuelle  ― d’où son nom.. C’est la mythologie grecque qui aurait fait aussi de ce mot le nom de la susdite princesse phénicienne (Eurôpè). (Wikipedia)




variation 90

Gabrielle me trompe avec un chef d'orchestre


coll. ALP

 

Gabrielle d’amour, rêvant de la baguette
Tout en agilité d’un fameux maestro,
C’est par la ruse que, t’improvisant mezzo,
Sur scène et jusqu’au lit tu mènes ta conquête.

Mais quand sous la diva tu t’éveilles, lorette,  
Le chef épris se range à tes goûts populo ;
Loin des airs de Mozart (et des feux d’Érato)   
Tu le recentres sur Dudule et La Rirette.             (*)

Dans la fosse tes chats miaulent bruyamment
En un chorus joyeux conduit par cet amant
Dès lors si peu fidèle à sa ligne orchestrale ;   

Tandis que moi reclus dans l’ombre au poulailler,
Sous l’inspiration d’une muse claustrale
Je me retrouve encor, hélas, à rimailler.

 

(*)  La Rirette, Jeanneton, voir ici 
      Dudule, voir... Non, je n'ose !




variation 91

Gabrielle me trompe avec mon chirurgien


 

Gabrielle d’amour, suite au mal qui m’assomme
Te voilà dans le staff de ce chirurgien
Qui demain va tenter, tel un magicien,
D’extraire de ma tête une morbide pomme.

De repentirs tu fus toujours très économe ;
Mais peu m’importe ici car c’est pour mon seul bien
Qu’en échange de soins dignes de Galien              (*)
D’un neurologue en chef tu t’es faite la môme.

Tes chats, injuriés jadis au bistouri, 
Partagent ma frayeur ; leurs sombres voceri 
Sur mon lit d’hôpital m’atteignent. Mauvais signes !

Alors avec mon cher Hilare Poilaunet,                   (**)
Lui qui fut si joyeux, j’écris ces tristes lignes
Qui risquent d’être, hélas, notre ultime sonnet.

 

(*)   Claude Galien : illustre chirurgien romain (129-21?)

(**)  Hilare Poilaunet : riante anagramme de mon nom (Alain Le Pourhiet), c’est pour la rime finale.

 




variation 92

Gabrielle me trompe avec un psychanalyste

 

Gabrielle d’amour, sur le divan secret
Où ton âme se livre aux aveux de jouvence,
Tu débites le fil dépourvu d’innocence
Que t’arrache un amant vicieux mais discret.

Tu t’es offerte à lui sans l’ombre d’un regret
Dans une mise en scène au parfum d’indécence ;
Son verbe doucereux, complice du silence,
Se subordonne au joug perfide de ton gré.

Tes chats castrés jadis — victimes d’un mal-être
Qu’un Freud ou qu’un Lacan doit savoir reconnaître —
Feulent un septuor maudissant l’imposteur.

Tandis que moi hélas, toujours dans mes rimailles,
De séance écarté par le pseudo-docteur
J’attends que désormais de chez lui tu t’en ailles.

 


Ingres



variation 97

Gabrielle me trompe avec un maquereau breton

La multiplicité des tromperies de Gabrielle m’a obligé d’abandonner ici les quatorze alexandrins du sonnet classique pour un éclatement en sept sizains de quatre pieds, tout en conservant donc le nombre initial de syllabes prosodiques (1 x 14 x 12 = 168 = 7 x 6 x 4). La coquine Gabrielle se cache derrière son prénom breton mais je la reconnais bien, car c’est elle ma Gabig d’amour, hélas ! Quant aux sept chats absents, on considérera que les sept petits poèmes les remplacent et assurent le respect, en quelque sorte, de la contrainte imposée.



Gabig d'amour


Crêpe exquise (1)

La gigolette
(Oui, c’est Gabig)
Tourne galette
Sur son bilig
Et fait ton beurre,
Yvon. C’est l’heure.

Crêpe exquise (2)

Plein sa cassette,
Le soir Gabig
T’offre en recette
Sur son bilig
L’argent du beurre ;
Yvon, c’est l’heure.

Crêpe exquise (3)

Sur son bilig
C’est pour le trèpe
Que ma Gabig
Saute la crêpe.
C’est pas un leurre
Yvon, c’est l’heure !

Crêpe exquise (4)

Le gars Yvig
Et son chien noir
Chez ma Gabig
Partent le soir
Chercher leur beurre ;
Ils vont, c’est l’heure.

Crêpe exquise (5)

On sait qu’Yvig
À Kerlouan
Tient le bilig
Une fois l'an
Pour la Chandleur(e).
Yvon, c’est l’heure.

Crêpe exquise (6)

Sur le bilig,
Sous la galette
De son Yvig,
Ma Pomponette
Glisse du beurre ;
Il fond, c’est l’heure.

Crêpe exquise (7)

Le même zig
À la baratte,
Avec Gabig
Qu’est bonne pâte,
Bat le bon beurre ;
Ils font, c’est l’heure.

La recette complète avec
les rimes de Verlaine :

Crêpe exquise

Pour la galette
Faite au blé noir
Il faut du lette
Tout frais du soir,
Des œufs, du beurre…
Dînons, c’est l’heure.


Lexique :

bilig : galettière en breton
trèpe : foule admirative (argot)
lette : mot paysan désignant le lait (au Québec, chez Maupassant, etc.)
Gabig : prénom féminin breton (Gabrielle)

Yvig , Yvon : prénoms masculins bretons (Yves)



  Heure exquise
  (d’après Verlaine)

La mer reflète,
Profond miroir,
Un vol de mouette
Dans le ciel noir
Quand le vent pleure...

Rêvons, c’est l’heure.




variation 98

Gabrielle me trompe avec El Greco
(toutes rimes masculines)



Gabrielle d’amour, j’ai joué mon banco.
À Tolède, un séjour que je voulais béni
Te laisse entre l’extase et l’embrouillamini,
Et moi dans le constat final d’un fiasco. 

Car te voilà fébrile en face du Greco.
Dans ses regards le tien se perd à l’infini,
Ton visage s’allonge ; et Modigliani,
Penses-tu, d’un tel maître est seulement l’écho.

Tes chats en requiem sous le pinceau du Grec
Ronronnent tristement faisant chorus avec
Tes amants collectés de Séville à Burgos. 

Mort le comte d’Orgaz, or le Comte c’est moi.
Hélas ! d’un crêpe noir Theotokópoulos
Achève ma chronique et fige un temps d’effroi.









variation 99

Gabrielle me trompe avec... plus personne
(sonnet à deux rimes)



Gabrielle d’amour, tu seras la captive
Bientôt de mes sonnets romanesques et verts...
J’arrête d’égrener le chapelet pervers
Que ma muse a conçu dans sa veine inventive.

Ce journal relatant l’humeur quantitative
D’une amante infidèle esquivant tout revers,  
Na que trop répété les immoraux travers
Dont mon ire en direct soutenait l’invective.

Rassasiés cent fois d’alexandrins divers,
Dès demain tes sept chats, effacés de mes vers,
Tairont dans mon oubli leur chorale votive.

Et moi le créateur, hélas, d’un univers
Où je ne fus jamais quune ombre négative,
Je me laisse glisser dans un morne dévers.

 





variation 100

Gabrielle me trompe avec le vent
et s’enfuit avec lui

(toutes rimes féminines et singulières)




Gabrielle d’amour, oui je t’ai inventée
Dans un frivole jeu daimable turpitude.
Or passe un vent moral qui clôt la multitude
Des amants dont mon rêve a conçu la portée.

Toi, chère illusion par Éole emportée
Aussi, je t’ai perdue ; adieu donc l’habitude
Que j’eus d’écrire en vers la récurrente étude
Des élèves fictifs soumis à ta dictée !

Sitôt, le septuor évaporé scintille                      (*) 
Et dans la casserole astrale qu’il pointille 
Mijote le festin dun retour galactique.

Hélas, ton souvenir viendra marracher l’âme
Lorsque dans les sonnets dont j’ai fait ton cantique
Je ne lirai bientôt qu’un vain épithalame !

 

(*) « Sitôt le septuor… » : la casserole de la Grande Ourse,
hommage final à Stéphane Mallarmé (Sonnet en X)

 

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