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A PROPOS DE SCHÖNBERG ET DE PIERR0T LUNAIRE

HOMMAGE À ALBERT GIRAUD


        Suite à mon intervention au colloque qui s'est tenu au musée des Abattoirs le 24 mars 2010 sur le thème " Le désir de l'œuvre d'art totale ? Mettre en scène Schönberg aujourd'hui ", et après m'être étonné en public qu'Albert Giraud, l'auteur de Pierrot Lunaire, ne fut même pas cité dans les débats, je précise mon point de vue à l'organisateur de la journée.

        Cher Monsieur

        Ma présence à votre colloque et mon intervention étaient dues à mon principal intérêt pour Pierrot Lunaire. Voilà l'œuvre de Schönberg qui m'a toujours fasciné le plus [...] alors que c'est Erwartung qui aura monopolisé l'intérêt de vos invités.

        Il est toujours intéressant pour le mathématicien que je suis (que je fus) de découvrir dans le langage d'autres spécialistes, ou dans leur jargon, des idées partagées. Et je suis amusé lorsque parfois je ne comprends pas des phrases où je retrouve pourtant les mots de mon vocabulaire scientifique quotidien. J'ai entendu jadis Edgar Morin expliquer avec une hallucinante complexité, et en s'appuyant sur des thèmes sociologiques ou artistiques simples, le b-a-ba de mon propre métier (i.e..la théorie de la régulation des "systèmes"). L'énergie cinétique invoquée par un de vos collègues sans que je pusse bien comprendre son propos, cette énergie-là dont les philosophes aiment s'emparer des symboles et des diverses transformations, fut aussi l'objet de mon travail de chaque jour ; et néanmoins je découvre avec vous un avatar de son principe [...]

        J'aurais pu intervenir plus longuement dans ma défense d'Albert Giraud, le poète si absent de votre débat alors qu'il est la source première du Pierrot Lunaire. Comment des savants présents pour parler de Schönberg et de son désir d'œuvre d'art totale ont-ils pu occulter un pan majeur de son inspiration, le texte grandissime de Giraud ! Sans ce chef-d'œuvre musical qu'est Pierrot Lunaire, et donc si Albert Giraud n'avait pas existé, la programmation du Théâtre du Capitole eût été différente et votre colloque n'aurait pas eu lieu. Il était donc normal que quelqu'un, un Candide, moi, vînt défendre le poème originel et son auteur délaissé [...]

        C'est la présence de deux rimes seulement dans les rondeaux octosyllabiques en 13 vers, et la répétition du vers 1 en  places 7 et 13, et celle du vers 2 en place 8, qui font la force lancinante du poème d'Albert Giraud. Ces  entrelacs sont la matrice de Pierrot et de son esprit tordu. Les contraintes poétiques forcent la gymnastique du personnage et libèrent son insolence (1), alors que la simplicité de la métrique révèle sa cruauté (1, encore). Ce premier Pierrot-là, revu ensuite par Otto Erich Hartleben puis terminé par Schönberg, est le nôtre. L'œuvre finale, objet de nos discours, n'existe que par cette séquence, et nous n'en parlerions pas si un maillon y manquait [...]

(1) C'est un paradoxe plaisant, et vous y êtes forcément sensible, de suggérer que la contrainte engendre la liberté. Voir ici :

(1)        (2)        (3)