LE GRAND INQUISITEUR
(manuscrit déposé, tous droits réservés)

Scène 8 : où l’on découvre qui est le fameux saint Hilaire ; où celui-ci réalise à nouveau un époustouflant miracle ; et où le Grand Inquisiteur se convertit enfin aux idées de Proctolus.

Résumé : Quelqu’un propose que l’on aille chercher saint Hilaire pour qu’il se joigne à la fête. Celui-ci arrive avec les deux brigands par lesquels dame Pépine aurait souhaité être violée au début de cette histoire ; elle les avait finalement adoptés comme filleuls. Saint Hilaire est un personnage répugnant malgré son goût pour les beaux vêtements ecclésiastiques, mais les femmes — et dame Pépine surtout — deviennent hystériques à son approche ; il parle un langage incompréhensible qui est (peut-être) celui avec lequel il s’entretient directement avec Dieu. Suite à quelques péripéties, il recouvre la mémoire qu’il a perdue depuis quarante ans et s’aperçoit qu’il est en fait le proxénète Ulysse-Eusèbe de La Butte aux Piles, et qu’il est donc entouré ici de toute sa famille. L’amant de notre Pénélope était donc son mari alors que le précepteur de son fils n’était autre que son père. Malgré ce superbe avatar de l’Odyssée, Ulysse-Eusèbe reste agacé par tout le monde, par le fait que sa femme l'ait trompé (avec lui-même !) et par le souvenir des mauvais jeux de mots sur son nom ridicule ; il préfère retourner à son amnésie et demande pour cela au bourreau de lui assener un grand coup de crosse sur la tête, ce qui est fait. Il perd donc à nouveau la mémoire, retrouve sa gaieté et réalise des miracles. Il promet de guérir le Pape, prend les deux brigands comme évêques coadjuteurs pour faire plaisir à dame Pépine qui souhaite les garder près d’elle, et il fait à tout le monde des déclarations d’amour ou d’amitié. Le Grand Inquisiteur, qui s’apprête à visiter la ferme d’Effregonde et son silo à topinambours, et aussi à palper ses meules, disjoncte à nouveau alors que le doigt de Proctolus se lève pour le soin annoncé. Le rideau tombe au moment où le Grand Inquisiteur relève sa robe et s’ouvre enfin à la science.

Le comte de La Butte aux Piles, à dame Pépine : Quelle bonne idée, petite maman ! Faites quérir tout de suite saint Hilaire pour bénir l’unité de notre groupe et se joindre à la fête. Qu’il vienne vite, en courant, ce con, sans oublier sa crosse ni son goupillon à capsule, ces outils dont il ne se sépare jamais et qu’il tient ferme même en dormant, le saint homme ! Puisse-t-il en faire couler à nouveau la tisane des Corbières qui décapera l’âme et les tripes de notre Grand Inquisiteur et qui forgera définitivement sa tolérance nouvelle !

Dame Pépine, à dame Effregonde : S’il vous plaît, ma bru, allez chercher ce bougre.

Dame Effregonde : Tout de suite, mère. (Elle part.)

Dame Pépine, au Grand Inquisiteur : Vous allez voir ce que saint Hilaire réalise avec ses ustensiles de culte. Pas souvent à son lutrin celui-là, mais pas saint pour rien, je vous le dis ! Et permettez que je fasse aussi mander les deux pauvres hères dont je devins incidemment la marraine lors de l’émouvant baptême que j’ai déjà décrit. C’est que, par charité chrétienne, j’avais hébergé ensuite ces chenapans dans ma porcherie pour éviter qu’ils ne continuassent à brigander et à vouloir détrousser les saints évêques qui se promènent en grand attirail dans la campagne et qui, de toute façon, ne risquent rien à cause des miracles qu’ils font comme ça avec leur crosse ou leur goupillon, pfuiiittt ! en veux-tu en voilà et si tu n’en veux pas reviens demain. Très appliqués, mes deux filleuls ont parfaitement assimilé les principes moraux que je leur enseignai aussitôt après les avoir adoptés, hé, hé, vous le constaterez, Boniface. De vrais bons pieux qui vous font tout ce qu’on leur demande, c’est-y pas rare de nos jours, ça ? Quand je leur dis, juste pour lutiner, n’en pouvoir plus, ils devinent que je lutine et me répondent : « T’en auras quand même, la Brève ! » et vlan ! c’est encore pour ma gigue, Rodrigue ! Ne sont-ce pas là des enfants de chœur parfaitement éduqués ? Déjà équipés comme de vrais petits évêques, il ne leur manque plus guère que la pourpre et l’onction romaine pour réaliser des miracles, eux aussi…

Dame Effregonde, complice de dame Pépine : Acceptez, Juste Arbitre, que ces gaulois bélîtres qu’inspire l’esprit du litre lisent à vos pupitres leurs gaillardes épîtres.

Le Grand Inquisiteur : Quoi ! ces deux pitres convoiteraient le titre dont l’insigne est la mitre ?

Dame Effregonde : Oui, oui, ils aspirent au chapitre.

Dame Pépine : Ô Boniface, je vous supplie d’intercéder auprès du Pape pour qu’il leur accorde au mérite la tonsure, le chapeau qui va dessus, les autres babioles et les décorations d’usage, mais aussi des diocèses pas trop loin de Baderne-sur-Lauquet, s’il vous plaît. C’est une humble chrétienne qui vous en fait la prière, ô riant Hercule, et qui saura vous exprimer sa reconnaissance dans sa propre et riante liesse quand vous le souhaiterez.

Le Grand Inquisiteur : Madame, je transmettrai votre demande à Rome. Anticipant sur le don de vous-même que vous proposez de faire à la Grande Inquisition, considérez que la faveur transalpine vous est d’ores et déjà acquise, Pépine...

(Un cantique l’interrompt chanté par trois ivrognes :

« Les saints et les anges, d’un air graci-i-iieux
Rompent le calme de l’azur spaci-i-iieux.
Leur hymne monte aux éthers silenci-i-iieux,
Remerciant Dieu pour ses dons délici-i-iieux,
Chantant de son amour le bien préci-i-iieux
Et proclamant sa gloire dans les ci-i-iieux. » )

Dame Effregonde, qui revient : Saint Hilaire était ici, mère Pépine. Il bâfrait aux cuisines avec les deux brigands. Ils arrivent.

     (Saint Hilaire apparaît, en grande tenue tel qu’il est décrit à la scène 2 dans la tirade de la mère Pépine. Il tient son goupillon dans une main et sa crosse dans l’autre, comme toujours. Mais il est d’une saleté repoussante et sent mauvais. Toutes ses soutane, chasuble et autres dentelles sont rapiécées, rougeâtres comme si elles avaient longtemps trempé dans un bain vineux. Sa mitre molle pendouille tristement. Le bonhomme n’est pas rasé, ses cheveux tombent raides et filasseux, il lui manque la moitié de ses dents, celles qui restent ne sont que des chicots tout noirs ; l’œil est glauque, l’air idiot. Les deux brigands n’ont guère meilleure allure.
     À l’arrivée de saint Hilaire chacun se prosterne, sauf le Grand Inquisiteur qui lui est de rang égal. Les deux ecclésiastiques se regardent, se toisent même, bagues offertes, mais aucun ne cédant à l’autre. Saint Hilaire se promène ensuite dans les rangs de l’assemblée. Au lieu de son anneau à baiser, il propose sa crosse aux hommes et son goupillon aux femmes. Un vent d’hystérie secoue celles-ci à son passage. Quand il arrive devant la mère Pépine, elle engouffre avidement le goupillon dans sa bouche et ne parvient plus à le retirer. Tout le monde essaie — sauf saint Hilaire lui-même — mais c’est en vain.)

Le Grand Inquisiteur : Ainsi vous êtes le fameux saint Hilaire. Je vous voyais différent. Sa Sainteté m’a souvent parlé de vos miracles : « Ils surviennent toujours pile-poil, m’a-t-il dit. Saint Hilaire est toujours là où il faut, quand il faut, avec ses outils précieux et son panache ! Et toujours tiré à quatre épingles, avec ça ! Quel présence et quel talent ! » Et le Souverain Pontife a ajouté : « Puisque vous allez à Baderne-sur-Lauquet, Boniface-Hercule, voyez saint Hilaire, parlez-lui de mon problème, vous savez lequel. » C’est que le Pape vous vénère, savez-vous ? Dans sa chapelle, une statue en pied de vous se tient, goupillon fier levé. Devant, des cierges se consument et se consument, laissant sur le parquet couler leurs larmes de cire. Et le Pape, si humble qu’il n’ose se canoniser lui-même, vous prie chaque soir avec les sanglots d’un malheureux. Entendez-vous sa prière, Max ?

Saint Hilaire, bénissant le Grand Inquisiteur : Salus big inquisitus alacono, stupid frangibus, pourquoi toi venire nou ferti chiétici a Badernus-sur-Lauquéquette. Returnus ad Romam et dizi à ton papo que por bandalez palapenis quipri. Car sanfalzar, Gonzalez, nothing assonage is better than una petita branletta à se fecit petare les tympans. Igitur masturbat est vicium, but una good pignoletta or paluchetta sometimes fecit bitta duralex, oh dico me what ! augmentare mucho elasticidad di zobi.

Le Grand Inquisiteur, éberlué : Que dit le saint ?

Dame Effregonde : Messire Proctolus, vous qui êtes savant et connaissez les langues étranges, pouvez-vous traduire ce que dit saint Hilaire ?

Proctolus, gêné : Il dit : « Bienvenue à Baderne-sur-Lauquet, cher confrère. » Il dit aussi que la vie à Baderne-sur-Lauquet est harmonieuse, que les gens y vivent sereinement, que les hérétiques n’y sont pas moins à leur place que les autres, et que chacun est libre d’y faire ce qu'il veut. Là sont les us de cette ville paisible, Monseigneur, et qui ne s’y plie pas, fût-il Inquisiteur II de May, s’expose à la colère de saint Hilaire et à la foudre de ses terribles miracles.

Saint Hilaire : Hilarius dixit. Hugh !

Le premier brigand : High !

Le deuxième brigand : Hogh !

Le comte de La Butte aux Piles : Quelle fragmentation analytique ! quel relief dans l’éclatement du langage ! mais quelle unité dans la séquence ternaire !

Le Grand Inquisiteur, à saint Hilaire : Parleriez-vous en trio, Bison Verbeux, un idiome non répertorié au catalogue de notre Pentecôte ? le dialecte d’un nouveau monde ? un latin de far-west pour emplumés de la mitre ? ou bien un échantillon du code saint-trinitaire par lequel Dieu s’adresse à la communauté céleste et dont vous, Hilaire, fin polyglotte, portez jusqu’ici la résonance ?

Saint Hilaire, d’une voix de stentor et sur un air psalmodique : Commence not, old crabus, à me les brisare menu, sinon mon goupillon tu vas rapido te le prendre là où myself cogito, capito ?

Le premier brigand : Gitoco, picato ?

Le deuxième brigand : Cotogi, tocapi ?

Proctolus : Avec un humour confraternel et un écho plein d’esprit, saint Hilaire chante : « Tais-toi, vieux crabe, sinon je te fous rapido mon aspergès où je pense. »

Le premier brigand :  Cogito donc aspergo.

Le deuxième brigand :  Aspergo then I wipe.

Saint Hilaire, synthétique : Cogito ergo I wipe. (1) (2) (3)

(1) « Je pense donc j’essuie. Plus de six cents ans avant la révolution communiste, l’aristocrate et philosophe français Dagobert de La Butte aux Piles balayait ainsi avec générosité l’un des privilèges de sa caste. Les théoriciens du marxisme qui décidèrent d’exploiter cette formule n’étaient pas plus enclins à la vaisselle que ne l’est tout un chacun et ils craignirent que les masses populaires ne la comprissent mal ; ils convinrent donc que Dagobert y avait exprimé son idée à l’envers, puis ils la remirent à l’endroit dans un slogan moins risqué pour eux et devenu fameux : J’essuie donc je pense. Ne valait-il pas mieux, en effet, aider les domestiques à penser plutôt que d’obliger les vrais penseurs à troquer leur stylo contre une serpillière ? Correction ainsi faite de son étourderie, le Français visionnaire était posé en champion de la défense prolétarienne et de l’abolition des classes ; il reconnaissait aux gens de maison la faculté — et le droit — d’accéder à une ligne de pensée [celle du parti] tout en préservant l’intelligentsia [du parti] des tâches ménagères et ingrates qui nous emmerdent. Merci, camarade Dagobert, pour cette première et grande leçon de socialisme. » (Lénine)

(2) « Je panse donc j’essuie. On doit à Dagobert de La Butte aux Piles, ce lointain précurseur de la prophylaxie hygiénique, d’avoir offert aux infirmières cette devise admirable et une aura intellectuelle à la pratique de l’asepsie. » (Louis Pasteur)

(3) « Je pense donc je suis, cogito ergo sum. Je n’ai fait que répéter là une maxime déjà énoncée par Dagobert de La Butte aux Piles dans Le Grand Inquisiteur, une vérité philosophique dont il a décomposé la preuve avec une logique impeccable et cartésienne avant la lettre. » (Descartes)


Les femmes de l’assemblée, en transes : Asperges me, saint Hilaire, et wipe wipe wipe hourrah !

Dame Pépine, le goupillon toujours dans la bouche : Coïto ergo sum ! ergo sum la ’Hé’hine à son Hi’haire. Oh oui, ’haint Hi’haire ! ra’hi’ho à moi au’hi, où tu ’henses ! Hourrah ! Ah, ouououhhh ! ’Ho’hi’ho, ’ha’hi’ho ? Ououououiiiiii…, youaououououhhh…, hi-hi-hi-hi-hiiiiiiii… !

Anahita, à dame Effregonde  : Dites-moi, Julienne, ce que chante Pépine est-ce une tyrolienne ? 

Proctolus, à dame Effregonde : Vous la connaissez bien, Urpie ; quand ainsi elle pépie…

Le bourreau, toujours professionnel : … est-ce qu’on la goupille ou qu’on la dégoupille ?

Proctolus : Il conviendrait plutôt, Hermione, qu’on la dégoupillonne.

Dame Effregonde, à Proctolus : Quand ainsi elle se tord, Hector, et qu’elle se désopile,… 

Le bourreau, bourreau : Ô ris !

Le comte de La Butte aux Piles : … doutez-vous que ne la butte aux piles…

Dame Effregonde : … sous ses assauts Mentor, le vieux butor ? (4)

(4) « Pénélope succombant à la séduction du sage Mentor, le propre ami d’Ulysse, le régisseur de sa maison, le précepteur de son fils ! Voilà qui suffisait, c’était là trop d’offense pour un helléniste, je préférai arrêter ma lecture, je n’aurais jamais dû me rendre à Baderne-sur-Lauquet. Dès mon retour, c’était en avril 1694, je fis savoir à Bossuet, qui avait dit du bien de ce texte méprisable, qu’il pouvait aller se rhabiller. Je ne pouvais, moi, que condamner la liberté sacrilège de cette Odyssée de boulevard. Oui, pensais-je, Homère et Virgile exigent de ma plume qu’elle corrige l’affront que le Français leur inflige. Aussitôt je m’employai donc à remettre à l’endroit les valeurs que Dagobert avait mises à l’envers. Mon Télémaque à moi, en particulier, resterait le digne fils du couple royal d’Ithaque et ne serait pas l’addition sans retenue d’un porc et d’une vache lubrique. » (Fénelon, introduction à son Télémaque, 1699)

Le comte de La Butte aux Piles : Ou alors répond-elle par ses cris en pléthore aux assiduités du sonore Stentor ?

Proctolus : Je ne sais, mes amis, je ne sais. (À la cantonade :) Qu’en pensez-vous, Victor ? (5)

(5) « Ce que j’en pense ? Disons qu’on entendait Stentor mais c’est Mentor qui vint. » (Victor Hugo)

Anahita, revenant à dame Effregonde : Voilà que je devine, Elvire, ce que chante sirène qui penche et se retourne et dont l’esprit chavire.

Le Grand Inquisiteur, à dame Effregonde : Dans ma chapelle, tempétueuse Hergite, chanterez-vous dimanche le même air que la mère qui rit quand elle s’agite ?

Dame Effregonde : Sa gîte, Grand Aréopagite, témoigne bien qu’elle vire quand saint Hilaire cogite.

Dame Pépine, de retour : ’Ho’hi’ho, ’ha’hi’ho ? Oui, oui, oui, youaououououhhh…, ouhi-hi-hi-hi-hiiiiiiii… !

Dame Effregonde, libre interprète : Dame Pépine dit que saint Hilaire est un peu balourd parfois mais qu’il reste un homme de grand cœur. Elle regrette même qu’il soit évêque car voilà le seul homme qu’elle aurait pu épouser en second mariage après l’évaporation de son cher Ulysse-Eusèbe. Dame Pépine sait que le pauvre Hilaire a connu bien des malheurs avant d’atteindre à l’ataraxie qui est la sienne aujourd’hui, une quiétude qu’il communique directement à ses ouailles, youaouhhh et sans chichis, lui qui vit si près de Dieu et dans la communion déjà de tous les saints du Ciel, amen.

Le Grand Inquisiteur : Quels malheurs Dieu voulut-il que ce saint-là connût ?

Dame Effregonde : Grand un coup sur la tête un jour perdre la lui fit et plus jamais ne la retrouva vraiment il.

Le Grand Inquisiteur : Un courant passe ici… Je sens planer l’Esprit-Saint…, une atmosphère de miracle imminent… Ne trouvez-vous pas, Bitte aux Mules ?

Le comte de La Butte aux Piles : Mon nom est Butte aux Mille, Ponseigneur, et non pas…

Saint Hilaire, se prenant la tête dans les mains, paraissant souffrir : Bitte aux Mules ! Oh !

Le Grand Inquisiteur, inquiet : Doit-on faire quelque chose pour lui ?

(Saint Hilaire est pris d’un malaise, on apporte un fauteuil de cérémonie, on y pose un coussin sacerdotal, le saint s’y assoit. On l’évente… Tout à coup il se relève, c’est un autre homme !)

Saint Hilaire : Bitte aux Mules ! Qui a dit Bitte aux Mules ?

Le Grand Inquisiteur : C’est moi, Ami de Dieu. Quelque lapsus aurait-il affecté le sens de mon verbe ?

Saint Hilaire : Bitte aux Mules ! Quelle audace ! Et, tant que vous y êtes, pourquoi pas…

Le bourreau, appliqué mais novice encore dans l’art des jeux de mots : … pôle ébitté sans é é mais avec u ?

Dame Effregonde : Ébitté, saint Hilaire ? Mais non ! le goupillon de Sa Vasculaire Turgescence n’est pas perdu, trululu trul’Hilaire, (Elle désigne la bouche de dame Pépine.) il est resté planté là, tralala tral’Hilaire…

Le Grand Inquisiteur, dansant et prolongeant la chansonnette : … goupillon dévoré, tralala trululu, par la mère au pit-bull, par la mère au pit-bull…

Le comte de La Butte aux Piles : Voilà qu’il remet ça et me prend pour un chien, j’enrage. (Au Grand Inquisiteur :) Ma mère est Butte aux Piles, Grand Veneur, et non pas au pit-bull.

Saint Hilaire : Au pit-bull ! Mais… mais que m’arrive-t-il ? Oh ! j’enrage moi aussi. Voici que me revient la mémoire des quolibets avec lesquels mes pensionnaires se moquaient jadis de moi ! Ah ! les putes en joie de Saint-Denis, toutes des garces !

Le comte de La Butte aux Piles, stupéfait : Il a dit Putangeois de Saint-Denis !

Proctolus, au Comte : Sa syntaxe redevient claire mais le sens de son propos reste obscur, Butte aux Piles.

Saint Hilaire : Mais Butte aux Piles ce n’est pas lui, c’est moi !

Tous les personnages : Quoi ?

Le comte de La Butte aux Piles : Mais qui êtes-vous donc, vénérable vieillard ?

Saint Hilaire : Messires, je me nomme La Butte aux Piles, Ulysse-Eusèbe de La Butte aux Piles ; je suis le seigneur de Putangeois de Saint-Denis.

Le Grand Inquisiteur : Alleluia ! Dieu est grand !

Le comte de La Butte aux Piles : Papa !

Dame Pépine, la bouche toujours pleine : ’Hiel ! ’hon ’hari ! (6) (7)

(6) « Quoi ? ô vertige ! que lis-je, Edwige ? Ulysse, ce retors déguisé en Mentor, n’aurait ainsi jamais quitté le rivage d’Ithaque ? Mais alors… oh ! la guerre de Troie n’a pas eu lieu ! » (Jean Giraudoux)

(7) « Ulysse et Mentor confondus en un seul et même personnage ! Voilà donc que le précepteur de Télémaque n’est autre que son père, et l’amant de Pénélope son mari ! Il aura fallu attendre deux mille ans et le très français Dagobert de La Butte aux Piles pour voir la cellule familiale honorée par cet éloge suprême ; car jamais les valeurs essentielles — et si chrétiennes — que sont l’amour conjugal et la transmission du savoir paternel  ne furent glorifiées avec autant d’évidence et de panache que dans les retrouvailles du Grand Inquisiteur. Désormais les sociétés civilisées s’appuieront encore plus sur ces nobles principes. L’exercice était périlleux, certes, mais notre bon Dagobert a su éviter impudeur et ostentation, délaissant les trop vulgaires artifices théâtraux et triomphant sans eux, poil aux œufs, de l’envers d’une situation pour le moins culottée. Fénelon peut aller se rhabiller, boulevardier lui-même ! Personnellement je suis fasciné et j’opine sans réserve à la haute moralité, à l’audace et au doigt d’humour de cette transposition tout en finesse de L’Odyssée, une vision fulgurante, Dorante, un flux d’esprit qui entraîne le lecteur, bien au delà de la pensée d’Homère, à dominer le panthéon séculaire et cosmique de la littérature universelle, mensis altimum pinaculum ex quo drolibus Dagobertus asperget litterarum curriculum et philologorum pilosum trouduculum. » (Bossuet, Maximes et Réflexions sur la Comédie, 1694)

Saint Hilaire, à dame Pépine : Auriez-vous tant changé, ma biche ?

Dame Pépine : De’huis hier ’hoir, ’haint Hi’haire ? (8) (9)

(8) « Pour saint Hilaire c’était donc la Brève hier plutôt que le bréviaire ! » (Sacha Guitry)
(9) « Saint Hilaire, on le voit moins souvent en chaire qu’en noce ! » (Jean Cocteau)


Saint Hilaire : Qui est ce ’haint Hi’haire dont elle parle ? Avec qui ma femme me trompe-t-elle ?

Dame Effregonde : Hélas !

Saint Hilaire : Laissez-moi me souvenir… Oui, tout cela me revient… Après que je fus enrôlé de force par les émissaires du roi dans une taverne où je négociais avec des confrères l’achat de quelques ribaudes, on me conduisit de force dans une caserne de l’île de la Cité. J’aurais pu faire valoir mon rang comtal pour recouvrer ma liberté, mais je préférai saisir l’opportunité qui s’offrait à moi de plonger enfin dans l’anonymat et de changer de peau…

Dame Pépine, vexée : ’Her’ci ’hour la ’heune ’hariée !

Saint Hilaire : … Car quoi de plus terrible, dites-moi, que de s’appeler Butte aux Piles ? J’ai vécu toute mon enfance sous les tirs faciles et dans le bain des plaisanteries les plus vulgaires ; même vous, bande d’enfoirés, seule quelque déférence vous interdit de rire en prononçant mon nom, je le sais. Et Eusèbe, hein ? Eusèbe, mon deuxième prénom, en connaissez-vous de plus grotesque ? Espèce de zèbre par ci et de zébu par là, tu ris quand on t’Eusèbe… Vous voyez bien, vous vous esclaffez ! Bref, au lieu de rentrer chez moi, je préférai fuir comme n’importe qui de sensé en eût profité. Je couvris ma ridicule identité sous le pseudonyme plus convenable d’Hilaire Putangeois et ne révélai à personne le titre nobiliaire qui m’aurait délié de mon engagement militaire. Cependant, plutôt que de m’envoyer en Terre-Sainte, l’administration de la croisade, instruite de mes activités civiles, préféra utiliser mes compétences et mes relations pour recruter de jeunes et belles personnes dignes d’accompagner là-bas les personnages de haut rang. Mais un tel rabattage ne se fait pas sans heurts. Un soir, dans une ruelle sombre, un marloupin rival me frappa violemment sur la tête. Je ne garde aucune mémoire de ce qui s’ensuivit. Ainsi je ne sais qui vous êtes ni ce que je fais ici, pas plus que je ne comprends l’accoutrement dans lequel je me trouve déguisé. Où sont donc mon élégant pourpoint noir et blanc à zébrures, ma culotte en satin, mes poulaines vernies… ?

Dame Effregonde : C’est sans doute après ce choc que vous avez quitté Paris. Quelque divine boussole vous aura guidé jusqu’à Baderne-sur-Lauquet, la ville natale de la femme dont vous étiez le fugace époux. Un jour, il y a de cela plus de trente ans, les gens du village virent arriver à pied par la route de Lagrasse, venant il ne savait d’où mais sans erreur de cap, Hilaire, un clochard déguenillé et hirsute qui ne se souvenait de rien à part son prénom ; il parlait une langue peu intelligible ; une énorme bosse sur la tête dénonçait la cause de son état second. Marchant comme s’il eût suivi inconsciemment une voie tracée par Dieu, il effectuait des miracles partout sur son passage : une aubaine pour Baderne-sur-Lauquet qui se cherchait un évêque ! Avec la crosse et le goupillon, les miracles d’Hilaire redoublèrent au point que le Pape, averti, le canonisa sur-le-champ.

Saint Hilaire : Un maquereau canonisé, c’est rarissime.

Dame Effregonde : Ô rarissime Ulysse-Eusèbe, saint patron des proxénètes, voici donc votre épouse, une ex-taulière de renom ; et puis voici votre fils qui tient aujourd’hui les rênes de vos maisons ; et moi je suis Effregonde, votre bru, la reine du topinambour.

Saint Hilaire, au Comte : Oh ! que j’ai honte, fiston ! T’avoir transmis ma tare, ce nom loufoque de Butte aux Piles ! Ah ! quel géniteur indigne je suis, tout comme le fut mon père après le père d’icelui et tous les autres avant !… Mais on ne m’a pas dit ton prénom, galopin.

Le comte de La Butte aux Piles : Télémaque-Ulysse, père, pour vous honorer.

Saint Hilaire : Télémaque-Ulysse ! Voilà qui n’est pas un prénom courant, mon garçon ; il faut reconnaître qu’il est même plutôt rare et qu’on t’a particulièrement gâté. (Il rit.) Bien franchement, je n’échangerais pas mon Eusèbe, qui vaut pourtant son pesant de calembours, contre ton Télémaque, ah, oh ! Une véritable mine ! (À dame Pépine :) Mais toi, ma blonde, pourquoi avoir voulu charger ce bouffon au point qu’ainsi tu le maculisses ? (Il part d’un fou rire.)

Le comte de La Butte aux Piles, vexé : … maculasses, père, maculasses.

Saint Hilaire : Eh bien, mon grand, une panne d’arquebuse ? Change ton silex, ha, ha ! (Il redevient sérieux et regarde le Comte des pieds à la tête :) À part ça le business semble aller bien, mon gars, à voir tes jolies frusques.

Le comte de La Butte aux Piles : Ce sont, père, vos propres habits, vos souliers, vos chapeaux que je porte ; et tout mon esprit se nourrit de la piété de vous. Aucune fille de mon cheptel à qui je n’enseigne les règles conçues par le grand gigolpince que vous fûtes ! À travers moi c’est vous qui continuez de les soutenir ; votre mémoire est garante de leur dignité. Point de chambre dans mes bordels où votre portrait en face du lit ne rappelle les frangines à l’honneur, au devoir, au goût de la turlute bien faite. Les enseignements de vos bottes, Messire, dont moi-même je reçus leçon de ma mère attentive, en particulier celui de la galoche hollandaise, de la babouche à loukoums, du sabot à vapeur, du chausson fourré…, demeurent les classiques qui font la réputation de nos claques. Quant à moi qui ne vous avais jamais connu, porter votre nom de Butte aux Piles fut toujours ma fierté, sachez-le, et corriger les lapsus ou brocards des impudents qui le maltraitent reste mon essentiel devoir.

Saint Hilaire : Tu ferais mieux de changer de nom, crétin ! Et vous, la mère embouchée de cet abruti, quel est donc cet objet indécent (Il essaie en vain d’arracher le goupillon de la bouche de dame Pépine.) que vous n’arrêtez pas de sucer ? Fallait-il vraiment, ma mie retrouvée, que vous me trompassiez aussi perfidement en mon absence avec ce ’haint Hi’haire ? Femme ingrate ! Et un petit morveux qui prétend être mon fils se déclare fier de porter le nom le plus burlesque de la chrétienté, un patronyme que tout individu sain d’esprit renierait et qui a fait pendant des siècles la honte des générations de Butte aux Piles ! S’il fallait une preuve que ce minable n’est pas mon fils, la voici : un vrai La Butte aux Piles honnit son nom ! Êtes-vous certaine, vieille rognure, que ce taré n’est pas un résidu de vos jeux de trottoirs ? Excusez-moi, troupeau de dégénérés, mais j’étais mieux dans mon amnésie, j’y retourne. Mais… (Il désigne le bourreau.) qui est ce guignol ?

Le Grand Inquisiteur : C’est mon bourreau personnel, ô Fleur de Lupanar. Il se nomme Annibal H. de Hacheballe.

Saint Hilaire : Qu’il laisse mes balles dans leur état, je l’en prie, car elles fonctionnent encore convenablement, merci pour elles. Mais plairait-il à cet Annibal H. peu aimable de me porter un grand coup sur la tête avec l’instrument que voici ? (Il lui tend sa crosse.) 

Le Grand Inquisiteur : Dieu rappelle saint Hilaire à son sacerdoce, c’est un destin, on n’y peut rien. Faites ce qu’il demande, Hacheballe, mais pas trop fort, ne lui éclatez pas le crâne, s’il vous plaît ; le Pape a encore besoin de ses miracles.

 (Ulysse-Eusèbe de La Butte aux Piles ôte sa mitre, et Annibal H. de Hacheballe lui assène un grand coup de crosse sur la tête. L’assommé chancelle quelques secondes, puis se redresse, tourne en rond, remet sa mitre, reprend sa crosse, redevient saint Hilaire.)

Saint Hilaire : Ah ! Je viens de faire un rêve affreux. J’étais dans un monde où copuler est un commerce et un péché, un monde où Dieu ne saurait placer un saint qu’il aime.

Tout le prétoire : Vive saint Hilaire !

Le Grand Inquisiteur : Saint Hilaire, pourriez-vous nous effectuer un petit miracle, là, comme ça, pour fêter votre hilarienne identité et votre hilarité retrouvées ? Mais juste un petit miracle, pas compliqué, rapide, un miracle que je raconterai au Pape pour qu’il sache de quelle merveilleuse complicité avec Dieu est faite votre routine.

Saint Hilaire, se drapant dans sa fierté : J’ai pour règle, Messire, de ne pas ternir mon image avec des peccadilles. Voilà pourquoi je ne réalise que de très grands miracles.

Le Grand Inquisiteur : Voyez-vous dans cette salle un sujet de très grand miracle ?

Saint Hilaire (Il regarde autour de lui, cherche, trouve.) : Oui, je vois.

Le Grand Inquisiteur : Dieu soit loué !

Tout le prétoire, scandant : Saint Hilaire, un miracle ! Saint Hilaire, un miracle !…

Saint Hilaire : Un grand miracle, vous voulez vraiment assister à un très grand miracle ?

Tout le prétoire : Ouiiiiiii !

Saint Hilaire : Eh bien, regardez !

(Saint Hilaire s’avance vers le groupe… Avec les gestes lents et décomposés d’un magicien (« rien dans les mains, rien dans les poches ») il saisit la partie du goupillon sortant de la bouche de dame Pépine puis il l’arrache d’un coup sec, schpop !)

Tout le prétoire, criant : Schpop ! Ouaiiiis ! il l’a fait !

Dame Pépine, effectuant quelque gymnastique de récupération buccale : Pas vermiculaire le goupillon à saint Hilaire, je vous le dis !

Dame Effregonde : Ah ! quelle pipe, quelle pipe !

Tout le prétoire : Hourrah !

Le Grand Inquisiteur : Une action magnifique, propre et nette ! Aucune contestation n’est possible, miracle accordé, bravo mon cher confrère, et chapeau Votre Mitre ! Vous êtes la gloire de notre profession, la fierté de tous les crossés.


(Saint Hilaire salue la foule puis sort le petit agenda où il note tous ses miracles ; il inscrit une croix à la page du jour.)

Le Grand Inquisiteur : Le Pape me disait, saint Hilaire, qu’il songe à vous promouvoir au grade suprême de docteur de l’Église ; mais il hésite encore car cet honneur est exceptionnel, savez-vous ? Normalement une centaine d’années sont nécessaires à l’instruction d’un tel dossier. Une dizaine de saints seulement ont atteint ce niveau, si près de Dieu désormais qu’ils en sont comme le reflet, l’écho… Au Ciel, ils décident tout ; Dieu avalise et signe. En fait, le Pape n’attend plus que mon avis pour vous faire accéder à cet altissime pinacle. Si vous procédiez sur lui au miracle que je vous suggérais tout à l’heure, cela conforterait ma parfaite opinion de vous, cher saint Hilaire. Je serais alors définitivement bluffé et plaiderais pour que le doctorat vous soit immédiatement accordé. OK ? Ah ! quel beau schpop vous nous avez fait là !

Le premier brigand : Schpoup !

Le deuxième brigand : Schpeup !

Dame Pépine, mère copine : Plus tard, mes chérubins, attendez un peu, soyez patients, maman Pépine s’occupera de vous tout à l’heure, et si vous êtes sages elle vous fera schpoup-schpeup.

Saint Hilaire : Je dois avouer que je ne suis pas mécontent de mon schpop.

Dame Pépine : Mais vous ne parlez plus votre charabia vernaculaire, saint Hilaire ! C’est un second miracle !

Saint Hilaire : Exact. (Il reprend son carnet et y inscrit une autre croix.)

Le comte de La Butte aux Piles : Nous ferez-vous, cher saint Hilaire, la faveur d’une homélie en clair pour clore cet événement ?

Saint Hilaire : Vous voulez vraiment un prône, là, comme ça, au débotté ?

Dame Effregonde : Au pied levé, saint Hilaire, au pied levé mais pas au débotté, de grâce ! (S’adressant à tous :) Saint Hilaire il pue de la botte !

Le comte de La Butte aux Piles, offusqué : Du respect pour le nom que vous portez, Effregonde ! Le nom de mon père est saint Hilaire de La Butte aux Piles, et non pas ce que vous dites.

Saint Hilaire: Bon… (Il se racle la gorge.)

Tout le prétoire : Ouaiiiis !

Saint Hilaire: Ah ! chers amis, mon doux réveil d’un cauchemar déjà oublié ! Et quelle joie de vous retrouver tous autour de ce beau miracle ! Généreuse et vibrante Pépine, quand saint Hilaire il erre, égaré de la voûte stellaire, merci de recueillir son goup’-en-l’air dans votre petit ciel circulaire.
     … Vous qui n’avez jamais connu de père, Télémaque-Ulysse, pour la reconnaissance que je dois à votre mère sachez que je vous chéris comme un fils. Dieu me causait hier de vous ; il admire votre façon de dresser vos paroissiennes de Putangeois ; je lui ai dit : « Pas étonnant avec sa bitte à poules ! » Ha, ha ! Dieu s’est marré. Le vocabulaire de saint Hilaire n’est ni scolaire ni atrabilaire.
     … Pour vous, Boniface-Hercule II de May, je vais réaliser un autre miracle, celui dont le Pape vous a chargé du mandat consulaire. Allez et dites à votre Grand Bullaire que c’en est fini de sa galère. Qu’il se frotte l’aire testiculaire avec le scapulaire de saint Hilaire et il retrouvera ses ardeurs glandulaires… (10)

  (10) « Un miracle sur votre boss, Monseigneur ! » (Paul Féval)

     … Vous, Proctolus, dont la science éclaire le fond polaire de vos patients, recevez la bénédiction tutélaire de saint Hilaire… mais gardez votre annulaire hors de son oculaire orbiculaire.
     … Vous, les deux brigands qui convoitez la mitre (11) (12), devenez les co-titulaires triangulaires de l’évêché de saint Hilaire et, en corollaire, partagez avec lui son cartulaire capitulaire.
     … Vous, Annibal H. de Hacheballe, bourreau impopulaire, arrêtez de nous pomper l’air avec le formulaire de vos artifices patibulaires ; rejoignez donc aussi la bande à saint Hilaire, et grâce à votre force musculaire soyez désormais la pierre angulaire de nos brouettes insulaires.
     … Vous, la servante au silence tumulaire et dont le charme ancillaire n’est pas pour déplaire, veuillez agréer l’hommage vasculaire de saint Hilaire… et son goupillon capsulaire dans votre bénitier ventriculaire.
     … Vous, Anahita, la brune étrangère dont le teint solaire éclaire les bijoux armillaires, laisserez-vous rôder à votre flanc pupillaire le caniculaire puis crépusculaire saint Hilaire ?
     … Et vous enfin, reine Effregonde, accueillez dans votre chaudron naviculaire le topinambour péninsulaire et perpendiculaire à saint Hilaire.

(11) « Outre la mitre, dans la panoplie des attributs épiscopaux figure également une calotte protocolaire dont la forme lenticulaire n’aurait pas disconvenu dans ce festival de rimes. Inquiet toutefois de mettre la calotte à l’envers (car il était sujet à de telles étourderies), respectueux aussi des chefs de l’Église, Dagobert de La Butte aux Piles a su se montrer là judicieux et sacrifier la calotte à la mitre. Il avait bien compris que la fente de cette dernière, ouverte entre les rondeurs alvéolaires des deux élytres, excluait qu’elle pût tenir à l’envers sur la tête d’un évêque normalement constitué (et non apparenté au duc de Bordeaux), et que ce choix le mettait donc à l’abri de son habituelle distraction. » (Mgr Loménie de Brienne, Le costume religieux à travers les âges)

(12)
« Ce paragraphe du Grand Inquisiteur et la pertinente analyse qu’en a faite Mgr Loménie de Brienne ont contribué à la hiérarchisation des coiffures ecclésiastiques ; car tout religieux depuis lors, qu’il soit barnabite, frère-sac, pieux profès, simple confesseur ou cardinal jésuite, se décalotte devant une mitre. » (Cardinal Jean Daniélou, s.j.)


Le comte de La Butte aux Piles, à genoux devant sa femme : Ô vous, oui, dame Effregonde, ma si fidèle et vaste amante que ma jalousie blessa ! Ô vous l’orgueil de mon nom, la gloire de ma couche, la source altière de ma descendance, ma vague génitrice, mon girond mascaret, mon rond masque à raie, ma duchesse de Bordeaux, ma croisée, ma béate, ma sainte à moi, eh ! ma Butte aux Piles ! Ô belle pute amie, profitez de l’occasion ; je vous permets de porter à Boniface-Hercule…

Le Grand Inquisiteur : … une grasse lichemouille avec des paluchettes et des pignolettes autour !

Dame Effregonde : Et comme promis, pour satisfaire Sa Curiosité Agricole, je lui ferai visiter mon silo à topinambours ainsi que ma grange à cucurbitacées.

Le comte de La Butte aux Piles : Et vous n’oublierez pas non plus, ma mie, de lui faire palper vos meules, vieille salope !

Le Grand Inquisiteur : Oh oui ! tes meules bien tassées, ma ferme, mais pas trop serrées, s’il te plaît, pour permettre entre elles la circulation des petites bêtes des champs qui gambadent dans tes foins et broutent tes chaumes.

Le comte de La Butte aux Piles, perplexe : Voilà de singuliers propos pour un ecclésiastique qui se disait d’abord attisé par les cularts de forge !

Le Grand Inquisiteur, dont la fièvre monte à nouveau : Oui, ta forge aussi ! Ô l’incandescente fournaise de la forgeronne à son forgeron du dimanche ! Ô la Vulcania allumée qui sonne ding-dong à cheval sur l’enclume à son Vulcain et qui rit youaouhhh quand on l’Hercule ! Oh oui, toi, sainte Effregonde…

Dame Pépine : Quoi ! Elle ! Déjà ! Sainte Effregonde !

Le Grand Inquisiteur : Le Pape sera d’accord, il canonise qui je propose. Les cardinaux du Sacré-Collège acquiesceront aussi car ils raffolent tous de topinambours, or c’est moi qui dirige le réfectoire et compose leurs menus. (À dame Effregonde : ) Quand tu viendras à Rome, ma fouille-au-pot, je leur montrerai ton chaudron à tubercules tout culotté de vieille sauce sèche, ma sainte, et déculotté aussi, chaud devant et pas froid derrière non plus sous ton jupon, jarnicoton ! C’est dimanche et ça mitonne et ça mijote et ça rissole et ça ronronne… et rrron… et rrrron… Vois donc, petit patapon, ton Hercule qui avance quand tu rec… Hue, le joli barbu, ho, ho ! qui me dévergonde et me dégonde. Oh, oh ! trop tard, j’é… j’é… ja… ja… Youaouououhhh !

Le comte de La Butte aux Piles, fataliste : Ainsi soit-il.

Le Grand Inquisiteur, dans un dernier spasme : …cule.

Tous le prétoire, en chœur : Quel amen !

Proctolus : Non, qu'elle apporte...

(Un grand sérieux plane soudain sur la scène, qui semble le prélude d’un événement majeur. La servante apporte une cruche et des verres.)

Le Grand Inquisiteur, dans un ultime délire :

Oui, qu'elle apporte ici un bon vin de Corbières et buvons-le cul-
sec en hommage à notre Proctolus. Haut les toges et bas les cucul-
les, chers amis ! Flancs découverts, mains sur les reins derrière,
voici que le docteur va nous initier à son ordre : levons nos cul-
lules à lui ! Et qu'ensuite chacun des nouveaux disciples du trou-
vère Le Pétosec s'en aille en croisade pour clystériser les incul-
tes : qu'il débouche l'obstrué, délivre le coincé, enfonce l'anal-
phabète, évase l'hermétique, élargisse l'occlus, et qu'il inocule
aux constipés du rire la prolifique semence de sa gaillarde prose!

Proctolus, se parlant à lui-même tandis que le rideau tombe : Ça y est, il est mûr. (Il lève son doigt et s'adresse à lui : ) À nous de jouer, Doigt-de-Fée.

Le récitant : Igitur in ano digitus introit.