LE GRAND INQUISITEUR
(manuscrit déposé, tous droits réservés)

Scène 3 : où le Grand Inquisiteur décèle les qualités d’une sainte parmi les goûts et les activités éclectiques de dame Effregonde ; où il envisage même de proposer sa canonisation au Pape.

Résumé : L’accusée, dame Effregonde, nie les accusations de son mari. Elle se présente comme une femme simple, vivant de ses travaux agricoles et partageant avec tout le monde son goût pour les cucurbitacées et autres tubercules. D’ailleurs, jusqu’à vingt lieues à la ronde, ne l’appelle-t-on pas la reine du topinambour ? Le seul crime qu’elle reconnaît est celui d’avoir fait enlever la ceinture de chasteté que le comte lui avait imposée avant de partir en croisade ; cet objet la faisait souffrir. Après deux jours et deux nuits de martelage, c’est un forgeron aimable et consciencieux qui est parvenu à briser ces fers et à dessouder la belle. Voilà que le Grand Inquisiteur, subjugué et comme tétanisé, disjoncte et rêve de devenir forgeron lui aussi ;  dans son délire, il souhaite même conduire la comtesse jusqu’à Rome pour la présenter au Pape dont l’âge avancé contrarie la vigueur ; comme récompense de ses services, Effregonde serait immédiatement canonisée, ce qui est opportun car il n’y a pas encore d’Effregonde au catalogue des saintes. Face à de tels arguments, les plaintes du comte contre sa femme sont balayées et c’est lui qui est maintenant accusé d’intolérance.

Dame Effregonde : A priori, Votre Grâce, tout ici m’accuse et je n’ai pas, moi, de miracle à verser en ma faveur au dossier. Ma faute semble évidente, je sais que vous le pensez, et cependant je me déclare innocente.

Le Grand Inquisiteur : J’écoute votre version des faits.

Dame Effregonde : La ceinture mise en place par mon époux devint rapidement pour moi l’objet d’un supplice constant. D’un poids élevé, elle ne me permettait que des déplacements pénibles, à genoux parfois, ce qui, pour une dame de ma condition n’était pas des plus élégantes postures.

Le Grand Inquisiteur : À genoux, dites-vous ? La sainte Église n’autorise cette position que pour prier. La vôtre était-elle prétexte aux divers substituts que la morale réprouve et que la religion condamne ?

Dame Effregonde, sans conviction : Je suis, Monseigneur, la respectable locataire d’un domaine rural que n’atteint pas la perversion des villes.

Le Grand Inquisiteur : Travailler la terre sur laquelle Dieu nous a placés est une occupation bénie, Annie. Quelle type de culture pratiquez-vous ?

Dame Effregonde : Des tubercules, Hercule, importées de mon Hainaut natal ; et aussi des cucurbitacées. Aux paysans d’ici j’ai enseigné non seulement l’art de les planter mais encore comment je les mitonne dans mon chaudron. Et je ne suis pas peu fière que dans les villages voisins, et jusqu’à vingt lieues alentour, on m’appelle désormais la reine du topinambour.

Le comte de La Butte aux Piles : Ah ! elle avoue ! Vous entendez, Foudre Céleste ?
  
Le Grand Inquisiteur : Hélas ! pas toujours bien. De fait, je suis un peu dur d’oreille. C’est qu’une partie de ma jeunesse fut consacrée à établir les règles d’une impitoyable fermeté envers les ennemis de l’Église ; de longues années d’études, vécues le plus souvent dans l’austérité de couvents isolés des plaisirs de société, ont fait de moi un inquisiteur inébranlable certes (1), mais en revanche ces travaux solitaires qui ont forgé ma poigne ne m’ont pas laissé pas les tympans intacts. Vous disiez donc… 

(1) « Dire qu’une personne ayant reçu une éducation religieuse sévère, basée sur l’inflexibilité morale, demeure ensuite inébranlable, c’est presque une tautologie. Mais qu’un jeune séminariste pratiquant son exercice manuel favori, quoique dur et inflexible également, en devienne inébranlable aussi, c’est un paradoxe ! Le philosophe Dagobert de La Butte aux Piles nous offre là une riante illustration du principe selon lequel toute évidence porte en elle-même sa propre contradiction. » (Henri Bergson, Le Rire)

Le comte de La Butte aux Piles : Je pars en croisade en laissant derrière moi ma comtesse éplorée ; or, à mon retour dix années plus tard, je la retrouve non seulement sans le cadenas que j’avais amoureusement posé, mais encore sacrée reine du topinambour ! Votre Clairvoyance admettra qu’il s’est passé en mon absence des choses peu catholiques dont je puisse m’indigner.

Le Grand Inquisiteur, autoritaire : Vous retiendrez, Messire, que c’est moi qui décide, et moi seulement, de ce qui est catholique et de ce qui ne l’est pas ; et que, par principe, tout ce que je pense est catholique et tout ce que je fais aussi. Je suis porteur ici de l’infaillibilité du Pape. (Il s’adresse à nouveau à la Comtesse :) Comtesse, accepteriez-vous de me faire visiter — très catholiquement, donc — votre silo à topinambours ? et aussi de me faire apprécier la fermeté de vos meules ? Car les questions agricoles m’intéressent, savez-vous ? Dans mon jeune âge, au moment de choisir carrière, j’avais hésité entre la bure et l’argent du labour…Vous sarcliez et biniez donc votre sillon, disiez-vous, en attendant que votre époux revînt de…

Dame Effregonde : Oui, car aussitôt après son départ la chatouille et la grattouille insinuèrent en moi une pernicieuse embrouille (2). À ma frustration se mêlait la trouille que cette fripouille de Télémaque ne prolongeât sa vadrouille comme déjà son père le fit. Ah ! rêvais-je — car en ce temps-là j’étais aussi sage que nouille et aussi naïve qu’andouille —, voici revenir mon époux ; il s’agenouille, déverrouille l’objet de ma rouille, m’en dépouille, libère ma chattemouille…

(2) « La médecine moderne utilise encore les mots chatouille et grattouille pour définir certaines privations semblables à celles dont souffrait dame Effregonde. Mais alors que le langage populaire tend aujourd’hui à confondre ces deux mots, les savants, eux, leur accordent des significations d’autant plus distinctes que les effets décrits ne peuvent, selon leurs observations cliniques, se produire simultanément. Effectivement on entend toujours les médecins dire : “ Ça vous chatouille ou ça vous grattouille ? ” mais jamais : “ Ça vous chatouille et ça vous grattouille ? ” Cette exclusion mutuelle de la chatouille et de la grattouille rend médicalement peu crédible l’embrouille dont parlait dame Effregonde. » (Jules Romains)

Le comte de La Butte aux Piles : Mais cette grenouille-là va tout vous dire sur ma gargouille ! De la pudeur, voyons !

Le Grand Inquisiteur, au Comte : Taisez-vous, espèce de niquedouille ! et soyez heureux de la loyauté de votre gente épouse. (Bouleversé, à dame Effregonde :) Mais poursuivez, Madame, et veuillez ignorer, je vous prie, l’émotion qui, à ouïr vos souffrances, barbouille mon sentiment et mouille mon regard. Vous disiez donc…, votre citrouille…

Dame Effregonde : … Hélas ! mes prières restaient vaines tandis que je m’alanguissais et souffrais mille morts. Alors, sous la pression d’une amie compréhensive qui tentait parfois d’apaiser mes tourments, je fis appel à un maréchal de ses relations pour détacher l’engin de ma torture. Ce Vulcain serviable me pria de venir à sa forge. Ah ! saint nom de Dieu, quelle fournaise, Thérèse ! Il me fit asseoir sur son enclume, à cheval ; et là, youaouhhh ! youaouhhh ! youaouhhh !… Je ne pus compter les coups que cet homme précis et consciencieux dispensa pour me délivrer, tant il y en eut. Toujours est-il qu’après deux jours et deux nuits de martelage, il brisa mes fers. Lorsque je descendis de l’enclume, sonnée autant qu’elle et résonant encore à ses vibrations, je m’en trouvai chancelante, exténuée, rompue aussi, mais enfin dessoudée. Ah oui ! j’ignorais qu’un tel forgeron pût exister ! Tenez, Votre Gloire, rien que d’y penser… youaouououhhh !

Le Grand Inquisiteur : Bigre ! restez avec nous, Madame ! Forger est un noble métier que la sainte Église honore car elle a besoin d’épées pour se défendre. Un jour, pour affûter ma propre lame, j’en ferai mon très chrétien hobby. J’imagine volontiers une petite forge intime et sympathique dans une cabane, au fond de mon jardin, qui jouxterait ma chapelle. Comtesse, vous qui n’ignorez plus rien désormais des outils du forgeron ni des arts de la forge, m’aiderez-vous pour l’aménagement et la décoration, pour le choix des bibelots ? Ensemble, si vous le voulez bien, nous répartirons de-ci de-là quelques moelleuses et confortables enclumes. Youaouhhh, disiez-vous ? comme c’est charmant ! Oh ! je suis déjà impatient ! Mais la suite, vite, dites moi toute la suite…

Dame Effregonde : Quelque temps après cela, alléchée par les propositions d’une brocanteuse, j’échangeai les débris de ma chaîne d’infemmie contre l’une des ravissantes ceintures dorées dont elle faisait aussi commerce ; le contrat de garantie comportait deux révisions effectuées par une experte. Le troc m’ayant nettement avantagée, je pensais que mon époux n’aurait eu qu’à se réjouir de cette bonne affaire. Hélas ! je me trompais.

Le Grand Inquisiteur : Vous avez dit deux révisions ?

Dame Effregonde : Absolument, Monseigneur, deux révisions par semaine ! Graissage et ramonage.

Le Grand Inquisiteur : Ramonage ?

Dame Effregonde : Ce n’est pas seulement qu’on y entre avec un cierge, grand nigaud ! Un de ces jours, je vous montrerai comment on allume tout ça, forgeron du dimanche ! et je vous enseignerai les arts de la mèche et quelques jeux pyrotechniques.

Le Grand Inquisiteur : Ah ! Madame ! oui je veux savoir de quels beaux sentiments ces mots-là sont les fils, dussé-je me livrer à leur doux vénéfice. C’est donc d’accord pour la mèche de dimanche, ma pieuse, et aussi pour le pétard belge dont vous m’offrez le bénéfice. Votre souffle attise délicieusement ma propre combustion, et sans nul maléfice vos vapeurs m’incitent à l’exquis sacrifice. Mais dites-moi, brûlante Héphice, en attendant la forge douillette dont nous projetions tout à l’heure l’édifice, pensez-vous que ma chapelle privée, quoique imprégnée encore de l’encens de mon dominical office, pourrait convenir à vos feux d’artifice ? (3)

(3) « On observe avec quelle pudeur l’auteur se sera retenu d’utiliser le mot facile que l’on craignait ici, celui dont la vulgarité aurait terni le brio de cette réplique racinienne ; et cela bien que sur sa plume — forcément — quelques grivois lutins jouassent et pression alors y fissent. » (Paul Claudel)

Le comte de La Butte aux Piles, offensé : Me permettrais-je de rappeler à Votre Courtoisie qu’elle s’adresse à une comtesse de la plus haute lignée, une La Butte aux Piles ? Elle est la propre fille du vicomte Godemich de Branlebas de l’Aisne, milliardaire, sponsor de croisades et champion plébiscité des femmes de croisés. Elle est aussi la nièce du duc de Brabant qui fut lui-même un défenseur de l’Église belge une fois. Certes, je saurai gré à Votre Sévérité de châtier la catin comme elle le mérite ; toutefois, eu égard aux services rendus en Terre-Sainte par ma couronne et mon épée…

Le Grand Inquisiteur : Vos faits d’armes, votre épée, parlons-en ! Les croisés qui ont guerroyé avec vous affirment que vous fûtes plutôt là-bas un [stakhanoviste] de l’arbalète ; mais ils précisent qu’avec cette arbalète-là vous auriez fait aussi bien fureur entre Nantes et Montaigu !

Le comte de La Butte aux Piles, qui continue comme s’il n’avait rien entendu : … je souhaiterais que fussent respectés ici, et demain en place publique tant que le bûcher expiatoire ne se sera pas éteint, le rang de mon épouse et le nom prestigieux qu’elle porte.

Le Grand Inquisiteur : Bitte aux Poules, ne soyez pas incohérent ! Oubliez-vous que c’est votre propre plainte qui m’oblige à toutes ces investigations ?

Le comte de La Butte aux Piles, se drapant dans sa dignité : Mon nom est Boutte aux Piles, Votre Sainte Éturderie, et non pas Bitte aux Poules.

Le Grand Inquisiteur, agacé : Jarnibleu ! cela n’est pas très différent. (Il se retourne vers l’accusée.) On nous avait interrompus, dame Effregonde.

Dame Effregonde : Ma fidélité me conduisit à défaire la nuit une toile que je tissais le jour, car des prétendants convaincus que mon mari était mort en croisade m’avaient fait promettre de choisir parmi eux un autre époux dès que mon ouvrage aurait été achevé…

Le comte de La Butte aux Piles, à dame Pépine : Ô mère, il y a de l’odyssée dans le gaz !

Dame Pépine, à dame Effregonde : Votre imagination galope, ma bru, car c’est moi qui suis Pénélope, et non pas vous. Je suis l’épouse d’Ulysse, vous êtes celle de son fils. Mais je ne vous en cherche pas querelle car vous m’amusez plus que vous ne me fâchez, et peu m’importent vraiment votre appropriation de mon histoire ou les chimères épiques que votre projection développe.

Dame Effregonde : … À Pénélope donc, chacun des prétendants proposait sa quenouille. Moi, toujours fidèle, je refusais, offrant seulement de temps en temps à l’un ou l’autre de ces impatients une paluchette anodine ou une pignolette, voire même, le dimanche et les jours fériés, une lichemouille dont je connais la science. Ce sont des recettes que m’avait apprises un hallebardier du régiment de Sambre-et-Meuse alors que, toute jeunette encore et par devoir civique, mon oncle le duc de Brabant m’avait incité à y servir comme bénévole. Le duc lui-même raffolait de mes friandises car la haute technique acquise dans cet art avait fait de moi une véritable maîtresse-queux d’abord, puis la mascotte du cercle d’amateurs qu’était devenu tout le régiment. Mais je ne les exécute plus qu’avec parcimonie et à bon escient.

Le Grand Inquisiteur : Heureux hommes que ces deux-là ! Va pour l’Italien, mais l’Arménien, lui, est-il un bon chrétien ?

Dame Effregonde : Tous pratiquent avec une ferveur accrue par la pompe, Noble Prince.

Le Grand Inquisiteur : Quelle sainte femme ! (Il s’arrête, réfléchit…) La science d’une lichemouille, avez-vous dit, chère savante ? Mais serait-ce aussi le dimanche, à des prêches simultanés aux miens, que vous divulgueriez vos sacrés principes ?

Dame Effregonde : Je professe tous les jours de la semaine, votre Érudition, en tous lieux, et j’utilise pour cela ma langue à moi, et non pas un latin fait de messe.

Le Grand Inquisiteur : S’agirait-il en tous lieux de votre langue belge ?

Dame Effregonde : D’oïl, Monseigneur, ma langue douce et onctueuse.

Le Grand Inquisiteur, connaisseur : Une lichemouille oïleuse et onctueuse, dites-vous, avec des paluchettes et des pignolettes autour ?

Dame Effregonde, convaincante : Une délicate saint-claude, Monseigneur.

Le Grand Inquisiteur, congestionné : Qu’on érecte la statue de saint Claude dans ma chapelle !

Dame Effregonde : …érige, Votre Syntaxe, …rige.

Le Grand Inquisiteur, survolté : Oui, riez… Aaaahh ! Aaaaah ! Youaouououhhh moi aussi ! Ça fume, vive la forge  !

Dame Effregonde, qui évente le Grand Inquisiteur exténué : Votre Sérénité verrait-elle encore malice dans la générosité dont j’ai été prodigue ?

Le Grand Inquisiteur, qui refait difficilement surface : Ouhh ! Plaît-il ? Ah oui ! nous vérifierons cela dans ma chapelle, dimanche.

Dame Effregonde, à son mari : Je n’ai agi qu’en simple camarade, seulement pour rendre service, Clovis ; et malgré l’aigreur de votre jalousie, malgré votre bile et vos sévices, sans que jamais contre vous je ne sévisse. (Elle se retourne vers le Grand Inquisiteur.) Monseigneur, je continuais d’espérer que mon époux me reviendrait un jour. (Dans un sanglot :) Car Télémaque-Ulysse…

Le Grand Inquisiteur, qui a repris tous ses esprits : Il suffit, Madame ! car si telle est votre culisse, elle est sûrement exquise et je vous prie de ne point vous en justifier davantage ici. (Tout bas :) Mais puisque vous paraissez connaître ce chapitre, belle haquebute (aux Piles), quand vous passerez à ma chapelle vous me direz s’il est vrai que certaines espingoles à rouet sifflent de la culasse quand elles reculent après un coup de tromblon. Le Saint-Père posait récemment cette question cruciale aux cardinaux réunis à Rome en synode extraordinaire. Désirant équiper les gardes suisses du Saint-Siège avec ces nouvelles arquebuses performantes que le marché propose, notre généralissime souhaite d’abord s’assurer qu’elles ne véhiculent pas de suggestions licencieuses susceptibles de perturber des soldats très chrétiens à l’entrée d’une cathédrale, vous me suivez ? Les prélats interrogés sont restés évasifs sur un sujet que nombre d’entre eux connaissent pourtant bien, les faux-culs ! C’est pourquoi je viens à vous, Madame, ne doutant pas que vous ne m’instruisiez avec patience et talent sur ce point technique délicat, afin que je puisse à mon tour éclairer le Souverain Pontife des lumières de votre expertise — lui qui, d’ailleurs, n’est pas plus curieux de la science du tir que des savantes qui le pratiquent, hummm ! vous me suivez toujours, coquine ? (Encore plus bas :) Mais hélas ! quelque indolence porte actuellement le cher grand homme plus sur la détente que sur la percussion, et un examen de son ressort s’impose… Vous viendrez à ma chapelle, n’est-ce pas ? (Il se retourne vers le Comte :) Messire, dame Effregonde m’a convaincu de sa bonne foi, je suis conquis ; et face à une vertu conjugale aussi admirable que la sienne, qu’importent désormais d’insignifiantes anecdotes de coulisses ! Vous avez là, Mac Ulysse…

Le comte de La Butte aux Piles : Télémaque-Ulysse, Your Holy Kilt, my first name is Télémaque-Ulysse.

Le Grand Inquisiteur : … une épouse exemplaire. On en souhaiterait une semblable — et même plusieurs — à chacun de ses amis. Votre plainte est irrecevable et j’en aviserai le Type aux Bulles lui-même.

Le comte de La Butte aux Piles : Mon nom est Butte aux Piles, ô César, et non pas Type aux Bulles.

Le Grand Inquisiteur : Mais personne ne vous prend pour le Pape, que je sache ! (Il prend un ton plus doux et se rapproche du Comte comme pour lui faire une confidence.) Je suis, quant à moi, le dauphin de Sa Sainteté ; j’ai pour lui les attentions d’un fils. Je lui parlerai, disais-je, des extases mystiques de votre dame Effregonde. Le Saint-Père se fait vieux et se retire lentement des affaires ; sa pieuse tension décline. Il ne quitte plus guère son lutrin où il ne cesse de psalmodier sur les mérites des femmes qu’il a jadis béatifiées. À ce propos, il continue de vouloir bénir personnellement les merveilleuses chrétiennes que je découvre au cours de mes pérégrinations et dont je sais ensuite le convaincre des vertus édifiantes ; comme si, dans son humilité et sa patience, il en attendait encore une sublime élévation. Quel saint homme ! Votre épouse aussi, Comte, est un être de grands ciels. Si vous m’y autorisez, je la conduirai à Rome, jusqu’au Pape. Cette rencontre révélera peut-être chez votre Moule à Bittes…

Le comte de La Butte aux Piles : Boule à mites vous-même, Grand Rabatteur ! son nom est Butte aux Piles.

Le Grand Inquisiteur : … quelque pouvoir miraculeux ? Si cela s’avérait, nous la soumettrions alors à la Curie des Pontifes pour tir groupé, miracle collectif et canonisation immédiate. Banzaï ! C’est qu’il n’y a pas encore d’Effregonde au catalogue des saintes, et nos évêques, vénérables mais impatients, piaffent. OK ? (Il se tourne vers l’accusée.) En était-ce terminé, gente incomprise, de votre bouleversant témoignage ?