LA FAÏENCE DE QUIMPER
DANS LES COURANTS ARTISTIQUES
DE LA PÉRIODE 1880-1940
1) Les
tendances régionaliste et classique
2) 1880-1918 : l'Art Nouveau
3) 1918-1940 : l'Art Déco, une
réaction contre l'Art Nouveau
4) L'Art Déco : un art populaire
et réaliste
- le réalisme à Quimper
5) L'Art Déco : un art intellectuel
imprégné de primitivisme
- le primitivisme à Quimper
: ODETTA
6) L'Art Déco : un art bourgeois
infiltré de colonialisme
- l'art colonial à Quimper
7) Quimper
: une brillante synthèse des trois tendances de l'Art Déco
1) LES
TENDANCES RÉGIONALISTE ET CLASSIQUE
Jusque vers 1860 la production des faïences
de Quimper était presque exclusivement constituée d'objets
à usage domestique, fonctionnels avant tout, et dont l'agrément
des décors simples restait sans prétention, en parfaite
harmonie de dessins et de couleurs avec les intérieurs dont
ils reflétaient la sobriété rustique. La géométrie
sommaire de ces décors était essentiellement constituée
de guirlandes et filets peints "à la touche", où l'alliance
de bleus et de jaunes typiques annonçait déjà
tout "le Quimper".
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Au cours de la deuxième moitié
du dix-neuvième siècle, le développement des
moyens de transports et l'extension d'une presse nationale amènent
une reformulation de l'identité du pays en provoquant le rapprochement
des provinces et de la capitale, et en diminuant l'isolement des campagnes.
Les reportages photographiques, la publication de croquis de voyageurs
comme ceux que le baron Taylor réunit dans les Voyages Pittoresques et Romanesques dans l'Ancienne France,
font découvrir la vie provinciale et la mettent au goût
du jour. Le train, en particulier, contribue à rompre l'isolement
de la péninsule bretonne et à assurer le succès
de ses plages ; les croquis d'Hypolite Lalaisse dans la Galerie
Armoricaine, et la redécouverte des dessins d'Olivier
Perrin, assurent le succès de ses traditions, de son
folklore, de ses costumes...
La décoration des faïences de Quimper
va répondre naturellement à la nouvelle demande d'images
régionales que la mode suscite. L'apparition des motifs "à
la bretonne", inspirés des gravures que l'on vient de mentionner,
marque un tournant dans cette décoration à laquelle
ils apportent des éléments de vie tout en lui assurant
une identité régionale facilement reconnaissable. Le
succès populaire de ces personnages paysans est immédiat
et il se prolonge encore de nos jours.

Plat "primitif"au petit Breton (ca 1850) |
C'est en 1872 que la manufacture Porquier confie
sa direction artistique à Alfred Beau, un artiste d'origine
morlaisienne qui était alors conservateur du musée de
Quimper. Sous la marque Porquier-Beau (PB), ces ateliers vont produire
jusque vers 1900 des pièces qui vont mener la faïence
bretonne régionaliste à un sommet de qualité.
Plats, assiettes, vases, jardinières..., deviennent de véritables
petits tableaux où le premier décor simpliste "à
la bretonne" est remplacé par des scènes vivantes et
colorées : baptêmes, sorties de noce, scènes de
taverne, jeux d'enfants, illustrations de légendes... On a
répertorié plus de deux cent scènes différentes
; elles sont toujours mises en valeur par de beaux marlis bleus ou
verts, de complexes entrelacs dont PB déposera le modèle
afin qu'ils ne puissent être copiés par des concurrents.
Certaines pièces furent réalisées par Alfred
Beau lui-même et signées de sa main. Cette période
marque l'apogée de la production "bretonnante" des
faïenceries de Quimper.

Porquier-Beau |
Ce "haut de gamme" PB continuait à aller
de pair avec une fabrication massive, mais de qualité moindre,
chez ses concurrents. La multiplication des bibelots qui sortaient
de toutes les faïenceries était demandée par une
clientèle locale fidèle, fière de cette
production régionale, et aussi par les touristes de passage
sensibles au label fait-main et qui voyaient en ces objets des souvenirs
typiques à tous les prix. Le succès et la réputation
du Quimper dépassent alors les limites de la France,
et son "petit breton", devenu symbolique, prolonge encore son succès
de nos jours.
La demande bourgeoise d'objets plus luxueux
incitait aussi les faïenciers de Quimper à copier
des pièces prestigieuses de Rouen et de Nevers qui jouissaient
depuis toujours d'un immense succès. La copie des faïences
de qualité était de règle dans beaucoup de
petites manufactures régionales qui n'avaient pas l'envergure
ni l'expérience nécessaires à la création
propre de pièces à la fois originales et majeures.
Mais alors que ces copies auraient pu n'être que de pâles
imitations, les faïenceries HB et surtout Porquier-Beau vont
s'attacher à fabriquer des pièces d'une incontestable
beauté et ayant peu à envier aux originaux ; certaines
assiettes et plats "à la corne" en atteignent même
la qualité, et les fonds bleutés de Porquier-Beau
ajouteront un "plus" breton à ces pièces riches
et coûteuses.

Porquier-Beau, copie de Rouen
L'après-1918, avec l'affichage d'un
goût de luxe en réaction aux privations des années
difficiles, et dans le courant de la reprise industrielle et économique,
assurait les faïenceries de Quimper d'une demande accrue
de leur production de qualité. Henriot, qui avait racheté
la manufacture Porquier en 1913 et qui était devenu propriétaire
de ses modèles, relance alors des pièces bretonnes
aux décors riches et complexes, proches de ceux qu'avait
créés Alfred Beau. Chez HB, outre des faïences
du même genre, on poursuit les grandes réalisations
à décors géométriques rayonnants dans
le style de Rouen, certaines pièces uniques nécessitant
un nombre élevé de journées de travail. Cette
production élitiste renforçait à travers
le pays l'image de marque du Quimper "régionaliste" et
"classique".
2)
1880-1918 : L'ART NOUVEAU
La première grande révolution
de l'art céramique en France et en Europe allait venir
tardivement dans le dix-neuvième siècle, inspirée
de l'orientalisme japonais qui était à la mode depuis
1870 sous l'influence des relations nouvelles que l'Empire du
Soleil Levant entretenait avec les pays occidentaux. La mode du
"japonisme" envahissait tous les domaines de l'art sous la forme
d'éléments décoratifs le plus souvent floraux
qui s'infiltraient partout en de savantes et et envahissantes
guirlandes équilibrées. Les arts graphiques avec
Mucha, la création mobilière avec Majorelle, la
verrerie avec Gallé et Daum, se feront les témoins
essentiels de cet "Art Nouveau". Mais contrairement à beaucoup
de faïenceries ouvertes à ces idées et inspirations
nouvelles, on suivra peu à Quimper cet élan novateur.
C'est que dans les années 1890-1910, toutes les faïenceries
de Quimper exploitaient au maximum le filon régionaliste
si prisé par une clientèle peu instruite à
la réalité et à l'universalité de
l'art ; le succès commercial du "petit Breton", dont le
classicisme restait toujours aussi porteur, avait fini par étouffer
chez nos faïenciers de l'avant-1914 toute volonté
de réelle innovation artistique. Ils manquèrent
ainsi leur présence et leur active participation à
la deuxième véritable révolution artistique
qui, après l'impressionisme en peinture, s'opposait aux
fastes vieillots et dépassés du Second Empire.
Bien que les copies du Rouen orientaliste pussent
à la rigueur avoir été inspirées par
des motivations proches de" l'art nouveau", on peut dire que la
manufacture Porquier-Beau, bien connue pour la qualité
de sa production et conduite par un artiste aussi ouvert et dynamique
que l'était Alfred Beau, resta en deçà de
ce qu'on aurait pu attendre d'elle. Pourtant, c'est vers 1890
que sortit de ces ateliers son prestigieux service à décors
de flore et de faune, et dont l'inspiration était tout
à fait japonisante. Non seulement ce service fut pratiquement
le seul à Quimper à répondre totalement aux
principes de l'art nouveau, mais il en est reconnu aujourd'hui
comme un chef-d'oeuvre. Il constitue sûrement l'une des
plus belles choses jamais réalisées à Quimper,
l'art de la faïence porté là à un rare
degré de raffinement et de poésie.

Porquier-Beau |

Porquier-Beau |
Parallèlement à ses décors
typiques, le japonisme se manifestait aussi par la découverte
d'une abstraction toute consacrée à la mise en valeur
de jeux nouveaux de couleurs et de matières. Alors qu'un
peu partout en France des potiers isolés comme Delaherche,
Decoeur, Lachenal, Metthey, Carriès atteignaient à
la célébrité par l'originalité de
leurs créations et entrainaient dans leur succès
les manufactures qui suivaient leur exemple, ce courant puriste
n'atteignit pas Quimper, Quimper qui abordera donc les années
1920 dans la continuité, routinière et sans risque,
de son "petit Breton" classique, folklorique et commercial.
Heureusement qu'au sortir de la guerre 14-18
les faïenciers de Quimper sauront avec brio et dynamisme
s'intégrer au courant des "Arts Décoratifs" qui
allait supplanter l'art nouveau. L'originalité dont ils allaient faire preuve dans la création
d'une statuaire réaliste et dans l'assimilation du courant
primitiviste allait marquer, après l'ère Porquier-Beau,
le deuxième âge d'or de la faïence de Quimper.
3) 1918-1940 - L'ART DÉCO : UNE RÉACTION CONTRE L'ART NOUVEAU
C'est en réagissant en permanence contre
ses acquits que l'art suit et précède à la
fois les idées de la société dont il est
l'image. Cette permanente remise en cause, de nature existentielle,
assure l'éphémérisme des concepts officiels
ou imposés et garantit l'évolution des modes. L'art
est intrinsèquement évolutif : il est lié
à la dynamique du temps.
L'art, donc, réagit. La fin de la première
guerre mondiale marque l'explosion des tendances qui s'opposaient
à l'art nouveau et qui flottaient déjà dans
l'air du temps. L'art nouveau avait porté à son
paroxysme les alliances luxuriantes du japonisme et d'un symbolisme
langoureux. Les premières réactions étaient
venues du mouvement de la Sécession Viennoise, en Autriche,
qui, dès 1910, avait rétabli la sobriété
du décor et réhabilité la ligne droite au
détriment des excès de courbes, torsades et autres
volutes enveloppants. Ce mouvement précurseur avait préconisé
un art rationnel, alliance pragmatique du beau et de l'utile ;
la réaction se concrétisait donc dans le retour
à une figuration plus simple et plus réaliste, ainsi
que dans l'invention de décors épurés dans
leur graphisme et dans leurs formes. C'est ce mouvement qui fut
baptisé plus tard "art déco", lors de la grande
exposition des Arts Décoratifs qui se tint à Paris
en 1925 et où les aboutissants de ces principes de base
allaient être confrontés.
La révolution de l'art déco allait
s'exprimer dans trois directions différentes et répondre
en fait à l'attente de toutes les classes sociales. Schématiquement
on peut distinguer les aspirations populaire, intellectuelle et
bourgeoise, tout en reconnaissant bien sûr un large flou
dans cette classification didactique. L'art de la céramique,
plus que tout autre, allait devenir le terrain d'affrontement
de ces courants et s'enrichir de leurs oppositions et de leurs
conjugaisons. Il serait impossible de bien comprendre l'admirable
synthèse qui allait en être faite à Quimper
sans analyser les causes profondes qui générèrent
ces tendances diverses et en apparente contradiction.
4) L'ART
DÉCO : UN ART POPULAIRE ET RÉALISTE
En corollaire de la fin de la guerre, 1918
marque la fin d'une période de privations et de souffrance
et amène une réaction naturelle de fuite dans la
construction d'un avenir différent. La nécessité
de la remise à pied du pays conduit à la glorification
du travail, des travailleurs, et des valeurs morales qui leur
sont associées : respect des traditions, de la famille,
de la nature... Les courants sociaux dans lesquels commence
à se mouvoir la classe ouvrière donnent à
celle-ci une ouverture sur les loisirs, ainsi que sa prétention
à un confort duquel l'art n'est pas exclu.
Aux prémices d'un art fonctionnel et
d'une simplicité retrouvée, se joint donc l'intérêt
qui s'éveille pour lui dans la classe populaire. Deux slogans
vont définir les tendances issues de ce constat : "le beau
dans l'utile" et "l'art pour tous". Mais si cette suggestion est
bien conforme aux mutations observées de la société,
elle appelle en fait à une véritable révolution.
Car, pour des raisons évidentes de coût, la popularisation
d'un art de qualité impliquait son alliance forcée
avec l'industrie et la grande distribution, ce qui eût autrefois
été dénoncé comme un paradoxe. Pour
ne parler que de la faïence, les grands magasins parisiens
comme les Galeries Lafayette, le Bon Marché, les Magasins
du Louvre, se dotent d'ateliers de céramique dont la direction
artistique est confiée à des artistes réputés
; les réseaux commerciaux déjà en place assurent
ensuite la distribution des produits. Le succès de ces
initiatives incitait à entreprendre des recherches nouvelles
de formes, de couleurs, de matériaux, et d'inspiration
; en retour, ceci renforçait l'originalité et la
qualité, tandis que que la production de série atteignait
ainsi un niveau artistique tout à fait remarquable.
LE "REALISME" A QUIMPER
Afin d'alimenter ces exigences nouvelles, il
était bien évident que les faïenciers de Quimper
se devaient de faire preuve d'une imagination nouvelle aussi.
Pour populaire qu'il fût, le sempiternel et statique décor
"à la bretonne" devenait monotone et ne pouvait plus répondre
aux désirs éveillés d'une classe sociale
dont le goût s'émancipait.
Ce sera à Quimper l'époque du
"courant réaliste". Tout en restant inspirée par
la représentation bretonnante spécifique à
son image, la faïence de Quimper va aborder un genre figuratif
radicalement différent en s'orientant vers la statuaire,
un genre qu'elle n'avait jamais abordé jusqu'alors, sinon
dans le domaine religieux classique. Pour garantir la qualité
en un tel changement, les dirigeants devront faire appel à
des artistes de talent, créateurs pour les faïenceries
d'oeuvres originales qui seront livrées ensuite à
la reproduction en série. Afin d'assurer, en un certain
sens, le côté oeuvre d'art de ces éditions,
certaines pièces seront numérotées en tirage
limité. La touche finale du décor fait-main sera
bien sûr toujours assurée.
Parmi les grands succès de la maison
Henriot, citons "Les Commères" de Nicot, "Les Fillettes
de Plougastel" de Beaufils, les "Marins en Bordée" de Jim
Sévellec, les "Mariés à Cheval" de Bachelet,
les "Porteurs de Bannières" de Creston, les Bigoudennes
de Michaux, et autres oeuvres de Haffen, Blandin, Géo Fourrier,
Lenoir, Maillard... Ce dernier combinait volontiers utilité
pratique et forme figurative, comme dans son célèbre
pichet en forme de tête de Bretonne.
La maison HB n'est pas de reste avec les "Porteuses
de Goémon" de Robin, la "Jeune Fille à la Quenouille"
de Hagemans, les "Gars de la Marine" de Renaud, les "Vannetais"
de Brion (alias Robin), les célèbres bébés
bretons de Berthe Savigny, le serre-livre "aux marins" de Bouvier,
la "Jeune Fille de Plouhinec", le "Pauvre Pêcheur" de Quillivic,
la fabuleuse et grande "Méditation" de Le Bozec qui constitue
sans doute le chef d'oeuvre du genre et où l'âme
bretonne semble sculptée dans la sérénité
faite matière.
serre-livre "aux marins"
de Bouvier |
Méditation
de Le Bozec |
Bachelet
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Maillard |
Porson |

Bachelet |

la mémoire des faïenceries de Quimper : cliquer ici
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D'importants groupements de statuettes
viennent parfois constituer d'étonnants ensembles vivants.
Chez Henriot, il faut citer le "Village Breton" de Sévellec,
et, chez HB, la "Noce Bigoudenne" et le "Retour de Pêche"
de Fanch (Caujan), cet artiste s'étant fait une spécialité
de petites statuettes touchantes et pittoresques dont sa fameuse
bigoudenne à vélo. Mais la réalisation
la plus extraordinaire fut la célèbre "Procession"
de Micheau-Vernez, constituée de douze grandes figurines
doubles de sonneurs et danseurs en costumes folkloriques,
toutes admirables de mouvements et de couleurs.

Michau-Vernez
Les pièces de forme des ateliers
Henriot sont toujours richement colorées, la vive polychromie
rajoutant quelque note joyeuse à des mouvements traduisant
déjà une humeur optimiste et parfois drôle.
Par contre, le camaïeu blanc souvent utilisé chez
HB pour les pièces plus graves leur confère
une beauté plus profonde et plus sobre, la couleur
exclue laissant à la forme seule le soin de traduire
le message brut de l'artiste. À travers leur beauté
formelle et leur puissance, c'est toute la permanence de la
vie et de l'âme bretonnes qui prend image en ces oeuvres
; le réalisme des visages, des gestes et des attitudes
restera toujours d'une totale modernité.
Outre cette statuaire qui constitue l'apport
le plus original du courant réaliste, celui-ci transparaît
aussi dans le décor de la faïence traditionnelle.
Chez Henriot, Jim Sévellec signe un chef d'oeuvre avec
un vase boule où les gars d'ici suivront toujours les
filles de là, dans une circulaire et éternelle
poursuite ; d'autres rondes autour d'autres vases sont de
la même inspiration, pleines d'humour et de tendresse.
Tous les décors de cette ligne rappellent que ces artistes
furent aussi des peintres : c'est bien le cas de Mathurin
Méheut auteur chez Henriot d'un légendaire service
à gâteaux décoré de scènes
fermières et villageoises, et de Marcharit Houel illustrant
chez HB les chansons de Théodore Botrel.
Jim Sévelec
Parallèlement à ces apports
riches de sensibilité poétique et réaliste
à la fois, les vagues de l'art déco proprement
dit et qui secouent la capitale aux rythmes du jazz et du
charleston, atteignent aussi Quimper. La statuaire de Bachelet
avec ses volumes anguleux aux résonances cubistes,
le dessin furtif de Sévellec, les rondeurs approximatives
des bébés de Berthe Savigny ou des petits animaux
de Giot, Bar et Nam, n'étaient pas étrangers
aux principes de simplicité plastique érigés
part les théoriciens de l'art déco. Dans cette
veine, on doit citer ici le célèbre service
"de la Mer" de Mathurin Méheut, et, chez HB, les scènes
de Lachaud. Mais l'apothéose est atteinte dans les
grandioses plats de Quillivic à décors marins
stylisés de motifs celtiques ; ces derniers constituent
un des plus beaux exemples de la participation de Quimper
au courant des Arts Décoratifs, superbe synthèse
d'un décor épuré dans le maintien d'une
parfaite authenticité bretonne.
En couronnement de ses efforts, la statuaire
des faïenceries HB obtient un Grand Prix à la
grande exposition de 1925. Allant de pair avec cette production
de prestige, ce sont aussi tous les petits objets traditionnellement
fabriqués à Quimper qui prennent un "look" rajeuni.
Les faïenceries, parfaitement dans la mode du temps, fabriquent aussi des objets publicitaires et des trophées sportifs :
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5)
L'ART DÉCO : UN ART INTELLECTUEL IMPRÉGNÉ
DE PRIMITIVISME
Les découvertes des fouilles archéologiques
en Grèce, au Proche-Orient (le trésor de Troie),
en Egypte (le tombeau et le trésor de Toutankhamon)
ajoutent leur impact à ceux des objets d'art africains,
océaniens, pré-colombiens que rapportent les
explorateurs, qu'expose le musée de l'Homme, et qu'on
se met à collectionner. Ces objets sont livrés
à la réflexion des artistes et des intellectuels
occidentaux, et ils argumentent l'éternel débat
de la définition et de la finalité de l'art.
Celui-ci ne pouvait pas sortir indemne d'une polémique
qui visait à accélérer sa dynamique en
fonction de ces nouvelles données.
Les artistes voient dans les oeuvres réalisées
chez les peuplades primitives une formulation pure des questions
que l'Artiste exprime au nom de l'Homme. Ces oeuvres, simples
en apparence, conçues dans un esprit de totale liberté,
n'ont pas été déviées de leur
mission par des questions matérielles d'argent et de
prestige ; jamais signées, elles apparaissent comme
porteuses du message originel de l'Art. Cette spiritualité
et cette intemporalité leur confèrent un profond
pouvoir de suggestion sur les artistes occidentaux en quête
d'inspiration ; ceux-ci se rallient volontiers aux thèses
intellectuelles de l'art primitif et ils en adoptent naturellement
le style : c'est le primitivisme. L'art africain plus que
tout autre va bouleverser l'expression artistique européenne.
L'oeuvre d'art sera désormais la traduction de la part
de vérité que détient chaque artiste.
Traduisant une perception intérieure subjective, l'expression
figurative n'est plus essentielle, et la mentalisation des
lignes, des formes et des couleurs dérive ainsi vers
l'abstraction. Le cubisme avec la mise à plat schématique
des volumes épurés et décomposés,
le fauvisme avec ses jeux de contrastes et de couleurs inventées,
sont les premières manifestations d'une dérive
qui s'inscrit parfaitement dans la réaction contre
l'art nouveau. Dès 1907, les Demoiselles d'Avignon de Picasso n'étaient-elles pas déjà des
"Africaines" ?
LE PRIMITIVISME A QUIMPER : ODETTA
Après être restées
relativement à l'écart de l'art nouveau, il
eût été navrant pour les faïenceries
de Quimper d'ignorer le souffle primitiviste qui infiltrait
tous les domaines artistiques.
Le primitivisme trouvait dans l'âme
et la tradition bretonnes une juste résonance. Les
origines celtiques des Bretons se sont toujours signalées
dans leur art par des signes décoratifs dont la géométrie
ésotérique n'est pas sans rappeler celle que
l'on trouve dans les arts africains et océaniens. Déjà
dépositaires, donc, de leur primitivisme "local", les
Quimpérois n'eurent qu'à se laisser flotter
sur le courant que la mode suscitait, et puiser à leurs
propres sources plutôt que de s'inscrire dans un courant
venu d'ailleurs. Plus qu'une force inspiratrice, le primitivisme
devenait donc ici le révélateur d'un art régionaliste
latent, et les oeuvres qui allaient en naître ne pouvaient
alors que conserver cette identité totalement bretonne
et significative.
La suggestion des décors celtiques
stylisés et abstraits allait ainsi constituer le message
le plus naturel que le primitivisme pouvait transmettre. C'est
la maison HB qui eut le génie d'entreprendre ce déploiement.
Elle choisit comme support le grès, matériau
d'arts anciens, ennobli au grand feu. Avec recherche et travail,
la matière allait être savamment émaillée
en des couleurs sombres de gris et bleus, opposées
à la douceur de verts céladon, de blancs ivoire,
ou encore à la lumineuse brillance d'ors. Ces teintes,
agencées en des aplats contrastés et géométriques,
sont parfois cloisonnés au trait d'or, et avec une
qualité de finition bien conforme au principe de l'art
déco. Pour différencier ces oeuvres de la production
classique habituelle, elles furent produites à partir
de 1926 sous la marque ODETTA (Ateliers de l'ODET). Beaucoup
de faïenceries avaient alors recours à l'utilisation
de marques annexes pour ne pas brusquer une clientèle
conservatrice que la nouveauté des décors abstraits
aurait pu choquer.
La marque ODETTA eut sa propre direction
artistique qui, pour garantir la qualité dans la diversité,
fit appel à des artistes dont certains étaient
déjà connus. Bretons pour la plupart, ils furent
fidèles à la tradition tout en sachant l'infléchir
de leur talent et faire de leurs oeuvres les ponts nécessaire
entre l'individualisme et l'universel. Parmi beaucoup d'autres,
citons ici Georges Brisson, Alphonse Chanteau, Louis Garin,
Rol, Georges Renaud, Paul Fouillen... Le toulousain René
Beauclair semble avoir été le décorateur
le plus fécond d'ODETTA. Cet artiste était déjà
connu pour des papiers peints caractéristiques de l'art
nouveau, pour des créations de bijoux, de meubles,
fers forgés et peintures. Sa compréhension du
primitivisme celtique était-elle liée à
ses origines occitanes ? Toujours est-il qu'il porta le grès
breton à un très haut niveau d'abstraction et
de beauté.
Les décors géométriques
qui caractérisent les grès ODETTA sont toujours
en alliance harmonieuse avec les éléments figuratifs
bretons que l'on peut encore y trouver : personnages, bateaux,
coquillages, dolmens... Les uns et les autres se complètent,
se prolongent mutuellement, ou encore se confondent ; l'osmose
est admirable et semble procéder d'une intelligence
secrète tant le celtique abstrait semble être
l'aboutissement naturel de cette stylisation du figuratif
breton, et tant la symbiose de ces deux modes d'expression
révèle ici leur parenté.
La forme des vases, dérivées
de leurs fonctions primitives de contenance, privilégient
la capacité volumique au détriment des lignes
élancées peu fonctionnelles ; le vase art déco
est donc souvent trapu, à l'allure débonnaire
et pansue, ou encore aux architectures anguleuses issues du
cubisme. Alors que les arêtes des uns épousent
naturellement la géométrie du dessin abstrait,
la rondeur des autres s'offrent volontiers à la répétition
circulaire et continue des décors. En plus de Sévellec
déjà mentionné, Louis Garin nous a laissé
dans ce genre des pièces incomparables.
Si parfaitement inscrit dans son époque
et si imprégné de l'esprit du temps, le style
ODETTA connut un grand succès et se situa au tout premier
plan de l'art déco ; à l'exposition de 1925,
l'ensemble des grès HB reçut encore un Grand
Prix. Pourtant la durée de vie d'ODETTA fut brève
puisque la marque fut arrêtée en 1936 ; elle
avait permis cependant d'adapter l'art décoratif à
une extraordinaire reformulation de l'identité bretonne.
Paul Fouillen, qui avait quitté la maison HB en 1928,
continua à produire dans ses propres ateliers des faïences
d'une inspiration celtique analogue mais originale et très
personnelle. Sans prétendre au même brio qu'ODETTA
puis que Paul Fouillen, les faïenceries de Quimper continueront
longtemps à s'inspirer des motifs celtiques, nouveaux
et rudes concurrents du décor classique "à la
bretonne".
HB Odetta
Paul Fouillen |
6)
L'ART DÉCO : UN ART BOURGEOIS INFILTRÉ
DE COLONIALISME
L'essor industriel et la prospérité
économique de l'après-guerre amènent
la naissance de nouvelles fortunes qui s'expriment en de somptuaires
dépenses. La riche bourgeoisie citadine oublie la guerre
dans un climat de fête qu'elle crée pour afficher
sa réussite : ce sont les "années folles" où
tous les arts sont poussés par l'argent jusqu'à
l'extravagance : bijoux de Cartier, mode vestimentaire de
Paul Poiret, mobilier de Ruhlman, réalisations architecturales...
Cette innovation, avec son excès et son luxe, fut le
caractère dominant et le plus remarqué de l'Exposition
de 1925 tant il avait atteint là une incroyable ostentation.
Certes il était en contradiction avec le principe de
base qui privilégiait "l'art pour tous". Toutefois
ses effets positifs furent de laisser au patrimoine de l'Histoire
des objets uniques et d'avoir entraîné dans leur
sillage la qualité remarquable d'oeuvres de série
moins prétentieuses. Hormis quelques pièces
uniques exceptionnelles, la vocation première des faïenceries
de Quimper résida toujours dans cette production plus
modeste.
L'ART COLONIAL A QUIMPER
Parallèlement au courant primitiviste
et issu des mêmes influences, un art colonial figuratif
se développe, plus exotique qu'intellectuel, et plus
soucieux de répondre à une mode que d'initialiser
une révolution de principes. Alors que Joséphine
Baker et la Revue Nègre triomphent à Paris,
l'exposition des Arts Coloniaux de 1931 est à la hauteur
de la richesse que les colonies lointaines déversent
sur les marchés occidentaux ; le succès de cette
manifestation assure à l'image exotique, vecteur d'imagination
et de rêve, son rôle prépondérant
d'inspiratrice de l'art déco. Dans le domaine de la
céramique en particulier, nombre d'artistes dont René
Buthaud, ont porté à son apogée de simplicité
et d'élégance un art doublement inspiré
des rêves tropicaux et de la tentation primitiviste.
Pour faire bonne figure, les faïenceries
de Quimper furent présentes là aussi, mais plus
pour ne pas en être absentes et pour pouvoir y démontrer
l'universalité de leur savoir-faire que pour y définir
un nouvel axe de fabrication qui aurait été
une flagrante infidélité à leur vocation
bretonne et populaire. La production "coloniale" de Quimper,
seulement destinée semble-t-il à sa participation
à l'Exposition de 1931, va être étonnante.
Un grand plat de Renaud figurant un marché africain,
"L'Africaine du Fouta Djallon" de Quinquand, et surtout la
"Femme Touareg" de François Bazin, haute de son mètre
sur un socle rehaussé de filets d'or, furent les pièces
maîtresses d'une participation qui valut à HB
une Médaille d'Or ; même des statues moins importantes,
comme celles qu'Emile Monier et Broquet exécutèrent
pour la participation d'Henriot, restent des pièces
exceptionnelles. Ces productions étaient certes aussi
marginales que rarissimes, mais elles assurent, avec la continuité
du classicisme de luxe, la présence du Quimper dans
l'Art Déco "bourgeois".

Emile Monier
7) QUIMPER
: UNE SYNTHÈSE BRILLANTE DES TROIS TENDANCES DE L'ART
DÉCO
En plus de leurs productions traditionnelles,
les faïences de Quimper furent donc bien présentes
sur les trois terrains populaire, intellectuel et bourgeois
qui recouvrent tout le domaine d'influence de l'art déco.
Celui-ci se manifesta de façon spécifique dans
chacune de ces catégories : statuaire réaliste,
primitivisme celtique, expressions classique et luxueuse,
art colonial... L'équation n'était pas facile
à résoudre, et les faïenceries de Quimper
furent peut-être les seules à parvenir de façon
aussi complète à se sortir de ce triple dilemme.
Elles ont su se situer au centre de gravité de la tradition
et du modernisme, de la pièce unique et de la production
de série, du luxe et de l'industrie. Leur mérite
est d'autant plus grand qu'elles y sont parvenues sans souscription
opportuniste à des modes qui les auraient déviées
de leur vocation ; c'est en trouvant dans leur identité
propre les raisons de leur intégration à ces
courants que les faïenciers de Quimper ont pu et su obtenir
ce "plus" qui anoblit aujourd'hui leur passé.
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