La naissance
de la Photographie
(article paru dans La Dépêche du Midi en février 1978)
Depuis que l’on est parvenu
en 1839 à fixer sans l’aide d’un crayon l’image
exacte de la nature, la photographie n’a cessé de connaître
des développements techniques et sociaux considérables.
Des appareils sophistiqués sont actuellement à la
portée de tous et, outre les témoins de la vie quotidienne
de chacun, ils deviennent souvent de véritables outils d’expression
artistique personnelle. Rien d’étonnant donc à
ce que les artisans de cette nouvelle créativité se
penchent sur son histoire, comme pour y rechercher une origine et
une identité.
Les média se font les instruments de cette
passion historique nouvelle qui inspire des revues et des livres
de plus en plus nombreux, et à laquelle la télévision
consacre des émissions de grande écoute. C’est
dans ce contexte, et parallèlement à l’exposition
des plus anciennes photographies de Toulouse que propose en ce moment
la galerie Jean Dieuzaide (1), que nous avons voulu présenter
un bref historique de la naissance de la photographie.
NIEPCE ET DAGUERRE
Toute idée nouvelle est l’expression
d’un besoin de la société ; elle s’appuie
sur l’héritage commun des techniques et des pensées
et elle flotte donc dans « l’air du temps ». Il
ne lui manque qu’un peu de génie personnel ou de hasard
pour donner naissance à une invention. Dans les années
1810 la mode était à la représentation exacte
de la réalité ainsi qu’en témoignent
les tableaux et les miniatures de l’époque. Dans cet
esprit, il n’est pas étonnant qu’un peu partout
des chercheurs aient essayé de s’affranchir complètement
de l’usage subjectif du crayon en confiant seulement à
la lumière le soin de la réalisation des dessins ;
cette idée était guidée par les expériences
de quelques savants qui avaient remarqué la propriété
qu’ont certains corps chimiques de noircir pendant leur exposition
prolongée à la lumière.
De tous ces chercheurs isolés, c’est
Joseph Nicéphore Niepce, un paisible rentier de Châlon-sur-Saône,
qui parvint le premier à la fantastique performance. En remplaçant
le verre d’une chambre obscure par une plaque sensibilisée,
il avait réussi à obtenir une image négative
après de longues heures de pose ; mais son succès
le plus remarquable fut de trouver alors un moyen d’ôter
de la plaque les produits qui n’avaient pas été
impressionnés, et dont le noircissement à la lumière
ambiante aurait provoqué sinon la disparition complète
de l’image ; celle-ci était donc fixée et devenait
permanente. Cette découverte faisait de Niepce l’inventeur
de la photographie. En 1952 une épreuve signée par
lui et datée de 1826 a été retrouvée
à Londres, mais d’après sa correspondance c’est
à 1822 que remonteraient ses premiers succès.
Toutefois, l’invention de Niepce n’aurait
jamais ou son retentissement si elle n’avait été
exploitée par un homme à l’intelligence industrieuse,
Louis-Jacques Mandé Daguerre. Celui-ci parvint à arracher
à Niepce la signature d’un contrat d’association
où il offrait à l’inventeur son habileté
commerciale jointe à quelques idées techniques vagues.
C’est sous son impulsion qu’en 1839, six ans après
la mort de Niepce, le savant Arago annonça officiellement
l’invention de la photographie sous le nom de daguerréotypie.
Bien que Daguerre eût effectivement apporté ensuite
des améliorations notables au procédé de Niepce,
le principe de la brillante et populaire invention restait cependant
toujours le même. Mais Daguerre avait tout fait pour que le
prestige n’en retombât que sur lui ; il faudra attendre
une vingtaine d’années pour que, grâce à
des historiens soucieux de vérité, le génie
de Niepce soit enfin reconnu et consacré par l’Histoire.
Un autre Français, Hippolyte Bayard, n’eut pas le même
chance que les précédents. Il est certain qu’avent
1839 ce modeste fonctionnaire du ministère des Finances avait
déjà obtenu des photographie sur papier ; mais Arago,
tout conquis à la cause de Daguerre, laissa Bayard dans l’ombre
et quelque désespoir. L’Histoire, là encore,
a su reconnaître la valeur de cet inventeur solitaire et lui
donner la place qui convient parmi les pionniers de la photographie.
On n’énumérera pas ici la liste des chercheurs
qui, au lendemain de l’annonce de la découverte de
la photographie, prétendirent l’avoir déjà
inventée mais sans pouvoir, comme Bayard et Talbot, présenter
les preuves matérielles de leur génie inventeur.
Daguerréotype |

Daguerréotype signé Sabatier-Blot
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LA CALOTYPIE
Calotypie, du grec kalos qui signifie beau, est le nom
que l’Anglais Henry Fox Talbot donna en 1840 aux épreuves
obtenues à l’aide du procédé de photographie
qu’il avait inventé. Contrairement au daguerréotype
qui consistait en une image unique sur plaque argentée, les
images positives étaient obtenus par contact à partir
d’un négatif en papier et étaient donc indéfiniment
reproductibles, tout comme le sont les photographies argentiques
actuelles. Talbot était jaloux de ses droits d’inventeur
et son ardeur à protéger ses nombreux brevets fit
que le catotype fut ignoré en France jusqu’en 1847.
C’est à cette date que le négatif papier fut
mis à l’honneur dans notre pays, à l’initiative
d’un industriel lillois, Désiré Blanquart-Evrard,
qui tenta en vain et sous le prétexte d’une amélioration
minime du procédé, de s’approprier la gloire
de l’invention de Talbot. Mais c’est en 1851 qu’un
autre Français, Gustave Le Gray, remarqua que le fait de
cirer le papier avant son imprégnation par les produits sensibles,
non seulement améliorait la transparence du négatif,
mais encore autorisait sa préparation plusieurs semaines
à l’avance et non plus un jour seulement comme dans
le procédé anglais. Mais malgré cette innovation
la calotypie ne put rivaliser longtemps avec une nouvelle venue,
la méthode des plaques au collodion qui, en réduisant
les temps de pose, permettait les premiers instantanés et
ouvrait dés 1852 les voies de la photographie moderne.
Quels furent les utilisateurs de la calotypie
? En raison du manque de netteté dû à la texture
fibreuse des négatifs, les épreuves étaient
sujettes à un certain flou qui reléguait la calotypie
à un art voisin du dessin ; on appelait d’ailleurs
les calotypes des dessins héliographiques, du grec
helios qui signifie lumière. Dans le pointillisme de ces
photographies et dans la nécessité d’une appréciation
globale de l’image, certains amateurs éclairés
avaient su reconnaître une dimension artistique nouvelle,
et beaucoup de leurs épreuves parvenues jusqu’à
nous témoignent d’une qualité photographique
rarement égalée. L’autre catégorie d’utilisateurs
était constituée de voyageurs pour lesquels le faible
encombrement et la bonne conservation des négatifs en papier
étaient aussi importants que la reproductibilité des
images. C’est ainsi que des photographes commencèrent
à sillonner le monde et à ramener de leurs expéditions
des photographies documentaires dont l’édition en albums
eut un impact géographique considérable. En France,
sous l’égide de la Commission des Monuments Historiques,
plusieurs photographes parcoururent le pays en 1850 pour constituer
une sorte d’inventaire de ses principales richesses architecturales.
La conjoncture de ce recensement avec le début du Second
Empire, c’est-à-dire avant les grands travaux d’Haussmann
et de Viollet-le-Duc, lui confère une valeur d’archives
irremplaçable pour l’évolution du patrimoine
artistique de notre pays. Regroupant ces pionniers, la Société
Héliographique est fondée on 1851 ; en 1854 elle devient
la Société Française de Photographie qui existe
encore de nos jours et qui plonge donc ses racines dans cette époque
qui constitue véritablement l’âge d’or
de la photographie.
La brève durée de vie de la calotypie — en 1860
elle n’existait déjà plus — et la fragilité
des négatifs en papier font que ceux-ci sont aujourd’hui
très rares. L’opportunité qui est actuellement
donnée aux Toulousains de voir une trentaine de vues de leur
ville obtenues directement à partir de négatifs originaux
(1) et comptant parmi les toutes premières photographies
de Toulouse, constitue un événement exceptionnel dans
la vie artistique toulousaine. Nous rendons hommage aux talents
de Jean Dieuzaide qui a su exploiter au maximum ces documents parfois
abîmés et vieillis, et recréer à travers
eux de véritables œuvres d’art. Nous ne doutons
pas que les Toulousains ne sachent reconnaître, outre la valeur
historique des images, l’indéniable spécificité
esthétique de ces incunables de la photographie.
Alain Le Pourhiet
(1) Galerie Jean Dieuzaide, 4 place Saint-Etienne, Toulouse, du
1er au 28 février 1978.
La cité de Carcassonne
avant les restaurations de Viollet-Leduc, ca 1850
Tirage par Jean Dieuzaide d'un négatif papier 40 x 30 cm
(ancienne collection ALP)

La basilique Saint-Sernin
de Toulouse, avant les restaurations de Viollet-Leduc, ca 1850
Négatif papier 40 x 30
cm (ancienne collection ALP) |