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En souvenir d'Alain Piquereau

Patrick Fabiani


       Le départ d'Alain est une vraie catastrophe, simplement une vraie catastrophe. Que pourrait-on donner pour passer encore un moment avec lui ? Tout, et ça ne suffirait pas.

       Un moment avec Alain, c'était un bon moment. En un clin d’oeil, il savait gommer les distances, les réticences, les différences, et mettre tout le monde à l'aise avec lui. Lui, l'ingénieur expert savait aller vers le directeur général, tout comme vers le jeune stagiaire timide qu'il avait peut-être été. Il savait adoucir la vie pour les autres et dérider les plus bourrus. Tout autour de lui, il répandait de la bonté. Avec sa bonne humeur, il voulait simplifier la vie. Quelle pitié d’avoir perdu sa bonne humeur !

       Conduire un projet avec Alain était une expérience unique. Toujours là pour aider, toujours pour faire avancer, il apportait sa contribution, essentielle, sans l'imposer, en laissant l’autre se l’approprier et surtout sans rien demander en retour, avec élégance, pudeur et simplicité. Jamais là pour se mettre en avant, jamais là pour la médaille, bien au contraire, il ne cherchait que la juste place pour son intervention, pour qu’elle soutienne ses collègues, ceux qui rament dans le même sens. Et pour qu'une discussion avance, il faut du sens, et du bon sens. Il faut un pôle nord et un pôle sud. Pour que le courant passe, il faut un PLUS et un MOINS. Pour prendre une décision, il faut un argument du OUI, et un argument du NON, ... et ça dépend de comment on pose la question. Alain savait toujours trouver le nord et le bon sens, et rester attentif au côté positif.

       Alain était un homme de paix et de confiance, un bonhomme rare et vraiment d'une profonde gentillesse, se comportant en toutes circonstances avec un tact épatant, pareil à lui-même, également gentil et prévenant.

       Partir en voyage avec Alain était une expérience unique. Comment goûter les cultures a priori les plus éloignées pour y retrouver une proximité des plus étonnantes ! Avec lui on était partout chez soi, même si, lui, il se sentait toujours mieux chez lui. Et quand on revenait du voyage, on était certes content d’être rentrés, mais surtout content car, finalement, à par quelques originalités sans grande importance, la terre est peuplée d'êtres humains. Comment mieux réaliser cela, qu'en partant en voyage avec Alain ?

       Évidemment chaque être humain est faillible et chacun à son tour commet sa bourde. Alain ne tenait pas rigueur des erreurs de bonne foi : « faute avouée entièrement pardonnée » et surtout ne pas oublier d’en rire sérieusement, car la leçon est d’autant plus utile qu’elle est apprise avec humour et avec l’amour de la chose bien faite.


       Mais il n’y a malheureusement pas que de l’amour sur Terre. Alain était tout particulièrement sensible à la méchanceté. En général, il savait reconnaitre une malveillance, et pour tenir à distance les malfaisants, il avait son franc-parler.

       Il savait dire son fait au directeur embrumé dans les vapeurs techno-cratiques, et plus encore… si mauvaise foi manifeste. Il avait appris à défendre son camp et tous ses coéquipiers, dans le sport comme dans le travail, bref dans la vie.

       Je ne sais pas tous les coups qu'il a pu prendre. Mais, qui le saura jamais ? Alain avait une vraie pudeur et une très grande politesse. Oh pas une politesse de façade, mais une vraie politesse du coeur. Dans les pires moments pour lui, il nous a préservés de ses souffrances. Il nous a rassurés, alors qu'il était, lui, inquiet. Il nous a redonné courage, au moment même où il désespérait le plus. En matière de foi en l'avenir, nous avons perdu une source qu'on croyait intarissable.

       Sa mort est une injustice vis à vis de lui, qui aimait la vie, ici, doucement, tranquillement, sans causer de tort à autrui. C'est une injustice au regard de ce qu'il apportait autour de lui, ici, pour ses proches, pour ses enfants et surtout pour Annette, sa femme, qui a eu tout ce courage, et qui va en avoir encore besoin, pour reprendre le chemin de la vie, avec la famille, en souvenir d’Alain. C’est une injustice, mais la mort n'est pas juste. Cette catastrophe, il nous faut l'accepter et continuer à vivre maintenant qu'il n'est plus ici. Vivre en souvenir de lui, vivre pour prolonger ce qu’il nous a laissé, vivre pour qu'il nous aide à nous conduire en êtres humains, comme lui, en agissant dans le bon sens, en agissant avec bon sens, et en prenant soin les uns des autres, dans la paix et la confiance.

Patrick Fabiani, le 15 janvier 2014



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